S'appuyant sur une solide fondation d'organisation de l'événementiel sportif établie à Paris, Ezzeddine Ben Yaâkoub a tiré son épingle du jeu en organisant le 8 avril un gala de boxe qui a permis à Moez Fhima de remporter dans sa ville natale, Msaken, le titre mondial des poids moyens. «L'important, c'est le savoir-faire, clame-t-il. La communication a aujourd'hui valeur de colonne vertébrale de toutes les actions que nous entreprenons. Je mets ma modeste expérience au service des jeunes Tunisiens afin de leur apporter la joie et la foi en un avenir meilleur à travers une série de manifestations sportives organisées chaque année». Entretien avec un amoureux du sport, de la liberté et de la vie tout court. Ezzeddine Ben Yaâkoub, vous multipliez les actions en faveur des boxeurs tunisiens en mettant sur pied de belles opportunités de les voir gravir les échelons continentaux et internationaux. Le dernier exemple concerne l'enfant de Msaken, Moez Fhima... Oui, je continue à croire qu'un rêve ne vaut quelque chose qu'en étant partagé. Dans le cas de Fhima, ce n'est que largement mérité : ce pugiliste a été champion de Tunisie, de France, d'Europe et d'Afrique dans la catégorie 71-75 kg. A 36 ans, il touche à un sacre mondial dont il a longtemps rêvé, mais qu'il a fini par accrocher. Il travaille depuis voilà 26 ans dans cet objectif. Il n'est jamais facile d'accueillir un champion du monde de la dimension de Kanbolatov à Msaken. Grâce au précieux concours des autorités et des personnalités locales, nous avons relevé le défi. Il n' y avait pas une seule place vide dans les tribunes. Face à un adversaire venu pour repartir avec la couronne, nous avons vu un grand Fhima. La version UBO (Union Boxing Organization) n'est pas la plus connue parmi les organisations internationales. Serait-ce un titre mondial au rabais ? Créée en 2004, cette organisation peut paraître sur le papier inférieure au WBC, WBA, IBF. Toutefois, le combat a été digne d'un Mondial version WBC. On peut situer le niveau des combattants dans le top 10 mondial. Un jour, l'UBO sera l'organisation leader parce qu'elle a été fondée en Allemagne. Et on ne rigole pas avec les Allemands. Vous avez été reçu vendredi dernier par le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, vous et le néo-champion du monde, Moez Fhima. C'est un grand honneur pour nous deux, notamment au vu de la période et des nombreuses sollicitations du Chef de l'Etat qui nous a prodigué plein de conseils pour aller de l'avant. Et servir le sport et le tourisme tunisiens. On vous accuse de n'avoir pas payé les autres boxeurs tunisiens figurant au gala de Msaken. Qu'en est-il au juste ? Vous savez, il y a des gens qui paieraient de leur poche pour figurer dans un gala de Championnat du monde. Sous les sunlights, avec les normes internationales propres à un tel great-event. Forcément, pour tous les boxeurs qui ont combattu avant le clou de la soirée, le match Fhima-Kanbolatov, cela est une chance inouïe de se mettre en avant et de se faire connaître au plus haut niveau. La médiatisation assurée par Al Watanya 1 qui a retransmis la soirée n'a pas de prix. Un nouveau combat de défense de ce titre est-il fiable en Tunisie? Oui, à condition de mettre sur la table un million de dollars et une vingtaine de billets. L'organisation mondiale exige une telle garantie. Que ce soit en Tunisie ou ailleurs, je travaille sur un nouveau combat où Fhima tentera d'unifier les titres mondiaux UBO-IBF. Le Russe Kanbolatov cherche une revanche. Il est rentré chez lui plein de déception. Il a dit ne rien comprendre à ce qui lui était arrivé durant la soirée de Msaken. Il y a également un Italien, un Allemands et trois Africains de France qui veulent combattre contre Fhima. Notre champion est vraiment attendu au tournant. Mais il n' y a pas que dans la boxe professionnelle que vous organisez des événements sportifs ? Oui, j'ai aussi touché au triathlon, au marathon. J'ai été à l'origine de la création de la fédération de kick-boxing. J'ai organisé 13 éditions du Marathon des Oasis, 14 éditions du Marathon de Hammamet, 23 éditions de celui de Djerba. J'ai également organisé le Festival de la Plongée sous-marine de Tabarka, le tournoi des Six nations de Tunis de pétanque, le premier Marathon nocturne à Tataouine... Vous devez bénéficier des subventions publiques pour pouvoir mettre sur pied tous ces événements sportifs financièrement coûteux ? Pas un sou. En 25 ans de carrière de promoteur dans neuf sports différents, je n'ai jamais touché un dinar des autorités publiques. Je compte sur moi-même et sur les sponsors, en plus des frais de participation à ces événements sportifs. En bon Djerbien qui a du sang phénicien qui coule dans ses veines, rien ne m'échappe des arcanes du commerce, du négoce. Je suis un produit de la rue. J'ai arrêté mes études au début du cycle secondaire. A onze ans, je suis parti avec ma famille en France. Je sais me débrouiller. Nous avons vécu dans un petit appartement à Choisy-le-Roi. Mon père exerçait deux ou trois travaux afin de subvenir à nos besoins. Dieu merci, j'ai fini par réussir. J'ai aujourd'hui un petit restaurant là-bas. Je reviens dans mon pays huit ou neuf fois par an. J'ai deux enfants auxquels j'apprends l'amour de la patrie. Certains vous soupçonnent d'établir des rapports troubles avec les médias que vous gâteriez un peu trop. Qu'en dites-vous ? De temps en temps, j'entends parler de cela, des échos me parviennent à ce sujet. Je tiens à préciser que je suis journaliste de boxe. Et puis, tous les journalistes que je fréquente ont fini par devenir de grands amis pour moi. Bien au-delà de nos rapports professionnels. Si j'invite de temps en temps quelques-uns d'entre eux, moi aussi, j'ai besoin qu'on fasse connaître les initiatives que j'entreprends. Si je ne suis pas sincère, cela n'aura pas duré tout ce temps-là. Plus d'un quart de siècle. Pensez-vous avoir réalisé tous vos objectifs professionnels ? Il y a les objectifs et les rêves. Les premiers, je ne suis pas loin de les avoir exaucés. Quoi de mieux qu'un championnat du monde en Tunisie ? Quant aux rêves, on vit toujours avec. Sans eux, la vie n'a pas de sens. «I have a dream», comme dirait Martin Luther King. Mon bonheur, je sais le chercher. Et, croyez-moi, il tient à très peu de choses. J'ai des vibrations quand je sens avoir rendu les autres heureux. Des relations fusionnelles vis-à-vis de mon pays et de ses habitants. L'argent n'a pas grande importance pour moi. Je n'ai pas d'auto. Regardez de quelle nature est mon téléphone mobile. C'est une vieillerie. On me respecte au niveau des fédérations française, européenne, mondiale... Je suis crédible, sinon, on ne m'aura pas accordé le droit d'organiser un Championnat du monde. Je ne suis pas un surhomme. Je ne suis qu'un maillon d'une longue chaîne. Comment était venue cette passion de la boxe ? Cela a commencé en 1974 avec le fameux combat de Kinshasa Clay-Foreman. Mon père m'a réveillé ce matin-là très tôt pour aller suivre le combat au café Bghil, à Djerba. Ce combat ne touchait pas au sport seulement. Clay représentait la révolte contre une certaine Amérique esclavagiste, raciste. Le fait qu'il se soit reconverti à l'Islam ajoute à notre identification à lui. Depuis, le virus de la boxe m'a pris. Après Acariès, je suis le deuxième promoteur en France. J'ai organisé des championnats de France pour les Français et qui furent retransmis par TF1, France 2 et 3, Canal Plus, Canal Horizons dans le temps... C'est tout à la fois un métier et une passion. J'ai une dette envers mon pays de laquelle je veux m'acquitter. Je fais aujourd'hui rayonner le nom de mon pays, et c'est ma plus grande fierté. D'autant que ma réussite, je l'ai construite dans une totale transparence. Non sans avoir pris des risques par-ci par-là. A partir de la France où vous passez le plus gros de votre temps, comment percevez-vous l'actualité brûlante de la mère patrie, la Tunisie ? Nous sommes condamnés à l'optimisme, à réussir. Je crois que le plus dur est derrière nous. Toutefois, il nous faut travailler dur. La Tunisie est un carrefour de civilisations. C'est aussi le grenier de Rome. Elle reste «vierge» point de vue touristique car il y a encore beaucoup de créneaux touristiques à défricher. Les rallyes m'ont fait connaître mon pays quartier par quartier, «zenga zenga», de Guermassa à Rgoud Essabaâ. Nous avons 1.400 km de côtes. Il faut libérer les investissements, les initiatives. Un jeune peut commencer son projet avec un investissement symbolique, on doit l'aider puis le contrôler. Il faut enrayer le chômage, un véritable cancer. Seriez-vous un libéral de la première heure ? Oui, je me définis libéral progressiste, pas dans le genre du libéralisme sauvage. Je cherche à mon niveau à installer la fête un peu partout en Tunisie. Les idées doivent éclore afin de combattre le fondamentalisme, l'intolérance, le terrorisme. Je contribue modestement à l'effort national consistant à empêcher qu'il y ait un vide que peuvent exploiter les courants extrémistes. Je suis un homme libre qui œuvre dans la culture et dans le sport. Je demeure convaincu que la femme tunisienne peut briller, d'où la chance que j'ai donnée à Wided Younsi qui a remporté le championnat mondial le 7 décembre 2015, Ahlem Grissette devenue championne du monde en boxe française le 15 décembre 2007... Seriez-vous tenté de faire de la politique ? Non, j'ai toujours été un électron libre. La politique, c'est le dernier de mes soucis. Je combats le terrorisme, la faim, la misère. J'aime mon pays. C'est tout. La Tunisie et le sport sont mon équilibre, mon moteur. Toutefois, je me reconnais dans un bourguibisme qui a fait accomplir à la Tunisie des pas de géant. Je m'identifie même profondément à Bourguiba, notre père à tous. Enfin, vos projets ? Le 25 avril, nous allons fêter à l'Insep (Institut supérieur du Sport de Paris), comme nous le faisons régulièrement depuis quinze ans, le grand boxeur tunisien Young Perez. Dans la troisième semaine du mois de novembre prochain, nous allons organiser le Marathon des Oasis. Ceux de Hammamet et Djerba se trouvent également en bonne place dans mon calepin. Je rêve d'un tournoi de golf, un Grand Trophée sur les cinq grands terrains de Tunisie que j'organiserai en collaboration avec Pierrette Brès, journaliste à France Télévisions. Nous demandons juste la prise en charge des invités de cette formidable opération de promotion du tourisme tunisien.