Ahmed Lamine a été un des meilleurs latéraux gauches de tous les temps. Précurseur du modèle du latéral volant, ou carrément ailier, il inspira beaucoup de défenseurs des générations suivantes. Avec l'Etoile Sportive du Sahel, il a vécu la résurrection spectaculaire à coup de doublé après la saison de gel. Avec le onze national, il a connu le traumatisme de la défaite au Zouiten en finale de la coupe d'Afrique 1965 face au Ghana. Voyage dans le temps — très lointain — avec un retraité du service des contentieux de la Sonede de Sousse qui se porte toujours comme un charme. Doublé, pas la moindre défaite durant toute la saison, deuxième meilleure attaque et meilleure défense, neuf points d'avance sur les poursuivants, le ST et l'Avenir Musulman (actuel AS Marsa): l'Etoile Sportive du Sahel, estampillée 1962-1963, n'a laissé que des miettes à ses rivaux. «Cette équipe était au dessus du lot parce qu'elle avait beaucoup de qualités, analyse Ahmed Lamine. On convoquait régulièrement sept ou huit parmi ses joueurs en équipe nationale. Sous la conduite de Drenovak, notre équipe alignait dans les bois Kanoun, protégé par les défenseurs Hbacha, Gnaba, Rouatbi, Hedi Sahli et moi-même. Devant, on trouvait Chetali, Mahfoudh, Ben Amor, Mohsen Jelassi, Mongi Menzli, Abdelaziz Moussa, Ali Chaouach. Tout ce beau monde sera rejoint par la suite par Habib Akid, Raouf Ben Amor et Rachid Gribaâ. N'oubliez pas non plus l'esprit de revanche qui animait une Etoile meurtrie par sa dissolution la saison d'avant après les incidents du quart de finale de coupe contre l'Espérance de Tunis. Le 20 mars 1961, le Président Bourguiba, qui rentrait du sommet africain d'Addis Abeba, la capitale éthiopienne, prononce la dissolution de notre club. Le 3 août suivant, les joueurs étoilés bénéficient d'une amnistie. Ils vont massivement émigrer vers le Stade Soussien. Moi, sur insistance du ministre d'origine mahdoise Mohamed Masmoudi, je vais jouer juste trois matches pour El Makarem de Mahdia. Je rejoins ensuite mes coéquipiers au SS, devenu une sorte d'équipe nationale. Par exemple, Kanoun perd sa place de titulaire au bénéfice du keeper Ayachi». Pourtant, l'amitié reste la plus forte malgré les incidents du quart de finale de ce classico d'un autre temps, et ses conséquences désastreuses pour l'Etoile. «Le joueur qui est le plus proche de moi, vous savez qui ? C'est un Espérantiste, Hamadi Touati, le défenseur central «sang et or». Chaque fois que je vais à Tunis, on se voit chez notre ami Habib Masri. Je vois également Mongi Hriga, Abdelmajid Ben Mrad....Ce sont des gens que nous chérissons. L'amitié l'emporte sur la rivalité sportive d'un jour. Celle-ci ne doit jamais générer une fixation». Plus généralement, Ahmed Lamine consacre beaucoup de temps aux œuvres en faveur des anciens joueurs dans la difficulté, entreprises par l'association des anciens footballeurs. «Ailleurs, on se rencontre entre anciens potes de l'ESS au café Hammami: Bicha, Adhouma, Hbacha, Chetali, Hedi Slama dit «Chalako» (ex-SS).... Presque chaque matin, on partage ensemble de bons moments». «Diwa le meilleur» Défenseur central (contre le Ghana, en 1965) ou latéral gauche, plus souvent, Lamine avait pour idole le défenseur de la Patriote de Sousse, Sadok Bedday. «Quelqu'un d'une élégance incomparable», souligne-t-il. Mais il avoue que le meilleur joueur tunisien de tous les temps reste Noureddine Diwa. «Chez moi, j'ai sa photo accrochée au mur, avoue-t-il. Mais Tahar Chaibi me plaisait également». Le meilleur latéral gauche de l'heure ? «Khelil Chammam et Slimène Kchok. Celui-ci doit se montrer plus sérieux, car il a connu une fin de saison quelconque», observe-t-il. «Ce poste requiert vitesse, clairvoyance et vigilance», analyse celui qui reconnaît sans fausse modestie avoir apporté une nouvelle dimension à cette fonction. Celle d'une participation offensive prononcée. Pourtant, Ahmed Lamine a connu des moments difficiles dans ses oppositions avec des ailiers droits «plus rapides que le vent», genre Tahar Chaibi, Salah Neji, Hedi Braiek... «Attouga n'y a vu que du feu» La plus grande frustration, Ahmed Lamine l'a vécue le 21 novembre 1965. «La Tunisie avait l'occasion d'écrire enfin son nom au palmarès de la CAN, rappelle-t-il. Elle partait avec l'avantage de jouer chez elle, au Zouiten. Mais le Ghana était un dangereux challenger. Mon dernier match international sera source d'une blessure qui ne s'est jamais refermée. Attouga n' y verra que du feu. En nocturne, sa vision baisse, c'est du moins son explication. De plus, l'éclairage n'était pas satisfaisant. Quelque part, il était écrit que nous perdrions (3-2 après prolongations). La finale devait se jouer de jour. Mais le match de classement a démarré avec deux heures de retard, le Sénégal refusant de le disputer. Il disait mériter de jouer la finale. D'où une deuxième mi-temps de la finale jouée en nocturne» «L'Etoile doit se renouveler» La finale du championnat de Tunisie 2017 n'a pas occasionné certes la même amertume chez le natif du 10 mars 1938 à Sousse. Mais il n'en demeure pas moins sceptique quant à la tournure des événements au club de ses premières amours. «On dirait qu'ils étaient tétanisés, qu'on leur a fait avaler un anesthésiant, relève-t-il. Face à un entraîneur genre vieux renard comme Faouzi Benzarti, il aurait fallu montrer un tout autre visage d'autant plus que l'Espérance était d'un grand calibre, complémentaire et robuste. Ce n'était pas l'Etoile que tout un chacun connaît. Ce jour-là, tout autre club de L1 aurait fait nettement mieux. Déjà, à la mi-temps, la partie était pliée. C'est le résultat logique d'un certain manque d'ambition. Bounedjah, Frank Kom et Akaichi n'ont pas été remplacés. Qui débarque à leur place ? Des joueurs moyens et en fin de carrière: Dhaouadi, Msakni, Bouazza, Acosta... En parallèle, on lâche des enfants du club: Jaziri, Sassi... L'Etoile n'a plus d'attaque. Elle ne marque plus que sur balles arrêtées. Il faut renouveler l'effectif. Mathlouthi et Jemal ne sont plus ce qu'ils étaient. N'oubliez pas que cette saison même, l'ESS a flirté avec la relégation au cours de la première phase». Aujourd'hui, Lamine coule des jours tranquilles à Sousse au sein d'une famille composée de deux garçons (Khalil, 41 ans, technicien dans une usine, et Majed, 35 ans, mécanicien) et deux filles (Nadia, 42 ans, fonctionnaire, et Kawthar, 34 ans, infirmière). Il y a quelques mois, il dut affronter l'épreuve de la perte cruelle de son épouse, Fatma, 64 ans au bout d'une longue maladie. «Son courage a été exemplaire», témoigne-t-il. «Ma devise ? «Hlou wa morr»....L'existence est faite de moments doux, et d'autres amers. Jusqu'à la fin du monde», conclut-il, un brin fataliste mais en même temps lucide.