La galerie Kanvas a ouvert ses portes, samedi 25 septembre 2010, conviant à une exposition inaugurale de cette nouvelle rentrée. Des fictions imaginées et racontées par dix artistes réunis pour l'occasion autour du thème «Fictions d'artistes». Un événement qui se poursuit jusqu'au 16 octobre. La galeriste, Yosr Ben Ammar, confie que le thème est venu comme ça, suite à une discussion avec l'un des artistes qui exposent. Elle ajoute : «La plupart d'entre eux, que je suis depuis 2006, sont dans le récit (Mohamed Ben Soltane), l'expression (Ymen), le message (Ben Slama) : tout cela rejoint le thème de la fiction». Un tour des lieux et l'on découvre, progressivement, le long des murs d'un blanc immaculé, les peintures, sculptures et autres dessins de ces faiseurs de fictions : Mohamed Ben Soltane, qui est dans une sorte de caricature sociale, présente des dessins stylisés accompagnés de commentaires qui se veulent ironiques. Mais l'on ne peut s'empêcher de se demander lequel des deux, du dessin ou du commentaire, illustre l'autre. Omar Bey, usant d'un humour noir, fait un clin d'œil au cinéma avec sa peinture sur bois Easy rider, ou encore Le diable au pays des merveilles. Mehdi Bouanani, avec son diptyque Statues, nous livre un saisissant travail de peinture dont l'acuité du traitement révèle, à travers des couleurs brumeuses, les traits d'un excellent dessinateur. Les peintures de Samir Makhlouf font dans la figuration disproportionnée, avec un cadrage et des plans bien particuliers… Une sensation de vertige nous saisit par moments et il émane de ses tableaux une odeur de mystère, de songes et de rêves. Comme survenues d'une dimension inconnue, les figures absentes de la sirène moderne, dans Le contrat d'une sirène moderne, celles des personnes installées dans le «salon», que le pinceau de l'artiste a saisies, d'en bas… semblent cacher bien des secrets… On aurait aimé creuser un peu plus auprès de l'artiste qui ne s'est pas libéré pour une petite entrevue et a, du coup, un peu forcé le mystère ! Quelques cimaises plus tard, les «récits» d'Ymen, qu'on croise en grimpant les quelques marches qui nous conduisent à la mezzanine. Elle nous parle, entres autres, sous les couches huilées de peintures et de papiers collés, de «mauvaises rencontres». Mais le traitement récurrent et les situations trop anodines laissent perplexe. En redescendant les marches, on arrive au triptyque de Nadia Jlassi, Ronaldo with love, et Trois pauses aux crayons d'Oussema Troudi, dessin dans lequel l'artiste saisit le mouvement d'une main exécutant un dessin au crayon, celle de l'artiste lui-même peut-être… Le dessinateur, ici photographe, nous présente une sorte de mise en abîme qui fige le mouvement sans le rendre, pour autant, statique... Les traits se mêlent, se chevauchent dans d'étourdissants coups de crayon révélant la force et «l'intelligence» du geste. La table est dressée ! L'on arrive enfin aux «scanners» de Héla Lamine, la benjamine de l'exposition, qui dresse la table des mets et nous convie à son «imaginaire de la nourriture», comme l'a si bien suggéré Imed Jmaiel, universitaire et graveur. Au menu : «Chignon frisé sur sa torsade de langoustine sauce béarnaise», «Feuillantine explosive à la fève et émincé de pépins gratinés», «Pêche melba sous son filet caramel gingembre» ou encore «Folie d'amour au coulis de citron amer»… A l'image de ces titres de plats loufoques, la jeune artiste, la «ludique» comme on se plaît à l'appeler, se joue des mots, faisant d'une terminologie culinaire son terrain de jeu. A travers ses «clichés»à l'allure de «scanners», spécialement réalisés pour cette exposition, elle s'attaque à la gastronomie française et aux nouvelles tendances culinaires. «Il s'agit ici de ne pas se prendre au sérieux», affirme cette dernière. En scannant différents aliments, elle emploie l'aliment comme matière picturale et élément de fiction. Objet-couleur, l'aliment construit le «cliché», nous livrant, ainsi, des «recettes picturales» mettant en scène, sous les rayons du scanner, la nudité délicatement orange d'une pêche ou encore la rencontre entre un artichaut et une grenadine… «C'est un travail d'expérimentation auquel je me prête», note-t-elle en parlant de poïétique. Au gré des juxtapositions et des arrangements, elle saisit la dimension picturale et le devenir couleur-forme de ces aliments qu'elle scanne, jouant sur les lumières, sans user de retouches, comme elle le précise. Héla Lamine a poursuivi de brillantes études à l'Institut supérieur des beaux-arts de Tunis. Avec une mention très bien au mémoire de fin d'études en arts plastiques (spécialité gravure), elle obtient une bourse nationale d'études de 3e cycle en Arts plastiques à l'Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, où elle décroche un master de recherche en arts plastiques avec la mention très bien. Elle compte, prochainement, s'inscrire en thèse. Elle a déjà participé à bon nombre d'expositions collectives et à trois éditions du Printemps des arts plastiques de La Marsa. La jeune «graveuse» ne compte pas s'arrêter en si bon chemin : dans la continuité de son travail sur l'aliment, elle prépare un livre de recettes décalées (digne du guide Michelin !). Une artiste à suivre.