Le coup d'envoi a été donné mercredi après-midi à la deuxième édition de Dream City — la première a été organisée en 2008 — qui s'installe pendant quatre jours, du 13 au 16 octobre, dans différents espaces et maisons de la Médina, offrant une rare occasion de les visiter. La principale vocation du festival reste quand même artistique puisque chacun de ces espaces accueille une performance ou une installation d'artistes tunisiens et étrangers, dans différentes disciplines. La manifestation est d'ailleurs définie par ses directeurs artistiques, Selma et Sofiane Ouissi, comme étant une «proposition artistique pluridisciplinaire d'art en espace public». Les visites se font suivant quatre parcours qui se côtoient dans les rues et les ruelles de la Médina et se croisent parfois. Les «Dream Cityens» peuvent choisir entre quatre formules, qui leur permettent de faire au choix un, deux, trois ou tous les parcours, sachant que le nombre élevé d'œuvres (40 en tout et une douzaine à peu près pour chaque parcours), dont les performances durent entre 10 et 20 minutes et se répètent toutes les demi-heures, ne permet de faire qu'un parcours par jour. Une fois à la Place de la victoire à Bab Bhar, là où tout commence, passage obligé par le restaurant Le Pacha, l'un des trois points d'information, en plus de Dar El Medina à la rue Sidi Ben Arous et de Beb Jédid, où l'on peut se renseigner et acheter des billets. On demande donc de l'aide à la jeune demoiselle à l'accueil, question de se retrouver sur la carte de la Médina et le plan des parcours. Elle nous rassure en répondant qu'il suffit de suivre les flèches installées un peu partout, et de marcher dans la direction de celles qui correspondent à la couleur du parcours choisi. Un bémol nommé ''poubelles'' Et l'aventure commence sur le parcours Rouge. Les flèches couleur sang, que l'on trouve tantôt sur le pavé tantôt sur les murs, nous mènent en premier lieu à la chapelle de la rue Sidi Sabeur, où nous attend la projection d'un court métrage irakien. Juste à côté, à la bibliothèque diocésaine, est prévue une rencontre avec le philosophe tunisien Youssef Seddik. Mais, bémol, les ponctuels ont eu tort. A midi, heure à partir de laquelle tous les spectacles sont supposés débuter simultanément, permettant ainsi aux visiteurs de commencer par celui qu'ils désirent, rien n'est encore prêt. Problèmes techniques, artistes et invités non encore arrivés, installations pas encore prêtes… Partout on nous annonce 14 heures ou tout simplement «Plus tard». Toutefois, ne soyons pas sceptiques, ce ne sont peut-être que les aléas du premier jour. En attendant, on s'offre un tour dans la Médina et ses rues labyrinthiques. On croise souvent d'autres «Dream Cityens», déambulant, que l'on reconnaît à leurs bracelets distinctifs de la couleur de leurs parcours. Leur mouvement crée comme un monde qui s'installe en parallèle à l'activité commerciale et la vie quotidienne de la Médina. Ils vont et viennent sous le regard amusé, parfois aussi moqueur, de certains habitants et marchands. On constate tout aussi amèrement qu'en dehors du parcours touristique récemment aménagé par l'Association de sauvegarde de la Médina de Tunis, l'état des habitations laisse parfois à désirer. Pire, on tombe sur un tas de poubelles tous les quelques mètres, chose à laquelle l'organisation du festival aurait peut-être dû essayer de remédier, surtout qu'il constitue une attraction pour les touristes. De quoi penser que même si elle en a le potentiel, la Médina est encore loin d'être une Dream City et que nous sommes loin d'être des Dream Citoyens. C'est justement, et entre autres pour cela, que des manifestations telles que Dream City existent et doivent exister, pour «s'interroger sur un territoire et une mémoire collective», car «si donc rêver sa ville revient à la dévoiler, à la revivifier, alors l'art est certainement le meilleur médium pour une réactivation du sensible ». Bref, il est un peu plus de 14h00. Le tour du parcours peut enfin commencer. Désarrois d'un cordonnier Nous sommes à la rue Sidi Ben Arous. Dans la maison de la fondation K.Lazaâr, la photographe tunisienne Marianne Catzaras propose une exposition hors du commun. On entre, dans le noir, pour découvrir à l'aide d'une lampe-torche une à une ses photographies, accompagnées musicalement par la Porpora de Nicolas Coluzzi, chantée par Cecilia Bartoli. Les sensations d'enfermement et d'aliénation nous sont communiquées par les gestes et les expressions du visage d'Imen Smaoui, la danseuse au crane rasé, qui a posé pour la photographe dans des clichés aussi subjuguants les uns que les autres. On dérive du côté de la rue El Kobbi, où Fakhri Ghezal nous présente, dans le couloir et le sous-sol d'une vieille maison, son installation vidéo Halquoum, itinéraire d'un tuyau de canalisation vers le point d'eau, en passant par des ouvriers oisifs et d'autres acharnés. Sur le chemin du retour, vers le point de départ de notre parcours, on passe par Souk el blaghjia où, dans le makhzen de Dar Blayej, Zied Meddeb Hamrouni, aka Shinigami San, propose une installation, fruit d'une recherche sur l'image et le son. Il a filmé le parcours rouge du festival, en six directions différentes (avant, arrière, haut, bas, droite et gauche) et mixé le son enregistré tout au long de ce parcours. Les images et les voix affluent de partout et donnent au visiteur l'impression d'être en train d'avancer, de reculer et de tourner dans la Médina, en rencontrant différents personnages. On passe également par l'ancienne bibliothèque nationale à Souk el attarine. Dans l'une de ses salles, on projette Collapse, un intéressant dispositif vidéo des Palestiniens Basel Abbas et Ruane Abou Rahme. Leur projet consiste en un assemblage de documents d'archives vidéo et audio. On y voit des images en noir et blanc, saccadées, tantôt ralenties, tantôt accélérées. Des images provenant de Palestine, celle de la résistance et de la défaite, qui explorent un état d'âme d'angoisse et d'obsession. De retour à la rue Sidi Sabeur, une chaise nous attend à la chapelle pour assister à la projection du court-métrage Al Kandarji (Le cordonnier) de Ahd Kamal, un film qui raconte l'histoire d'un ancien détenu de la prison de Bucca en Irak qui, une fois de retour chez lui, a du mal à récupérer ses anciennes habitudes et à rejoindre le mode de vie familial. Du linge pour défier la gravité Un grand moment, symbolique à plusieurs égards, fut celui de la rencontre avec Youssef Seddik. Ce dernier offre à son auditoire une version « conte », en dialecte tunisien, du livre Aveuglement du Portugais José Saramago, lauréat du prix Nobel de littérature en 1998. Un livre important, selon le philosophe, car il exprime l'idée que l'humanité de l'Homme ne tient qu'à un fil, ici celui de la vue. Il conseille vivement de lire ce livre. Nous recommandons également sa version cinématographique : Blindness de Fernando Meirelles (2008). Vers 17h00, on va du côté de la place du tribunal, où deux spectacles de danse nous attendent, décalés d'un quart d'heure pour permettre de voir l'un et l'autre. Le premier a lieu au palais Kheïreddine, où deux danseurs de la compagnie de la chorégraphe américaine Trisha Brown effectuent Floor of the forest. Sur une installation de cordes entremêlées, des vêtements sont accrochés. Les performeurs s'habillent et se déshabillent en traversant la structure horizontalement, défiant la gravité terrestre. Sur place, on découvre également une rétrospective photo et vidéo de l'artiste allemande Ulrike Ottinger, un projet qui s'inscrit dans le cadre de la semaine allemande organisée par l'Institut Goethe et qui a été inclus dans le parcours de Dream City. Le deuxième spectacle de danse a lieu, lui, au siège de l'Association de sauvegarde de la Médina à Dar Lasram. Ytong est le nom de cette «pièce de percussion en solo» de l'Allemande Maren Strack, qui danse le flamenco sur un bloc de pierre jusqu'à ce qu'il s'effrite. Cela nous mène à 18h00, les dernières représentations se terminent, les bénévoles responsables des lieux de performances ferment boutique. Demain, une dure et longue journée les attend. Quant à nous, nous sommes passés en un après-midi par un parcours riche et varié, entre les arts et les visions venant de divers horizons. Vivement le prochain parcours !