Dream City qui a pris quartier à la Médina de Tunis et nous invite à revoir et à rêver notre ville. Une démarche artistique contemporaine qui s'inscrit dans ce que l'on appelle «l'art urbain», qui abolit les frontières et fait de la ville un immense atelier. L'art au fil des changements des sociétés a subi un développement discontinu. On pourrait croire qu'il ne fait que se greffer à ces différents changements, alors que la réalité nous montre que malgré sa rigidité et ses allures d'«autiste», il est un transformateur agissant de la société. Les «merzbau» de Schwitters avec les ready made de Duchamp ont annoncé «une révolution du regard». L'œuvre d'art n'est plus geste, elle est choix, découverte, dépassement…libérée des contraintes matérielles, du support, des matériaux et de la matière, l'œuvre d'art gagne en autonomie. Les artistes désertent les lieux institutionnels d'expositions (musée et galerie) réservés à une élite ou conditionnés par des critères esthétiques complexes, qui en interdisent l'accès culturel au grand public. Ils se tournent alors vers le dehors, investissent l'espace urbain (land art, street art, performance, happening). La rue devient l'atelier de prédilection, la création devient prétexte, ou plutôt rendez-vous. On peut considérer ces formes artistiques comme des interventions qui s'articulent en des propositions tantôt immédiates, tantôt préétablies, et qui contrastent ou se marient avec le décor urbain : happening, processions, installations éphémères, public pris à parti, graffitis et tag… Des tentatives qui essayent d'atténuer l'emprise de la politique traditionnelle de la vision qu'admet le système de l'art et qui est de plus en plus revendiquée, de nos jours, par les campagnes publicitaires à travers les mass média. De ce fait l'artiste prend à son compte d'investir le réel et de le redécouvrir par la même occasion, il se joue des signes publics, il rassemble l'improbable, il suscite tous les sens, il s'étonne et il étonne mais, surtout, il communique, il rapproche l'art de «monsieur tout le monde» faisant de lui dans certains cas un partenaire (l'art cinétique et Fluxus). Loin de la doctrine platonicienne de l'art comme simple copie du réel, l'œuvre n'émerveille plus par sa puissance illusoire: elle est acte, événement. L'artiste cesse de se replier, il rejoint les siens et s'implique. «Dream City» se veut, depuis sa première édition en 2008, l'initiateur d'expériences de ce genre. De passage cette année et pour la deuxième fois sur «la terre» de la Médina cette année, ses créateurs se veulent les messagers d'un art plus ouvert, démocratisé, vulgarisé même à travers les 40 créations qui ont investi depuis le 13 octobre, les ruelles, maisons, impasses et autres parois de la Médina. L'expérience rose Même principe, suivre les flèche roses, et c'est là que commence l'œuvre collective qu'est «Dream City», car la manifestation est en elle-même ce que l'on peut appeler «une œuvre totale et collective». En dehors des «trajets artistiques», la vie quotidienne de la Médina, de ses passants, de ses commerçants, ses couleurs, odeurs participent et interviennent dans «ce rêve». L'idée n'est-elle pas de «se jouer des frontières et des signes pour les remanier, les détourner et les porter ailleurs» ? En voilà une illustration bien vivante ! On essaye donc, tant bien que mal, de trouver son chemin à travers les flèches roses qui disparaissent par moment ou se font attendre. Mais n'est-ce pas une occasion pour croiser l'autre et aller vers lui ? On demande son chemin et, des fois, on n'a même pas besoin de le faire…Les gens, ou plutôt les commerçants, curieux, proposent leur aide, nous interpellent, nous appellent même : «Hey, Dream City»…! Entre-temps, on croise d'autres circuits, le premier à la rue Sidi Sabeur, au rendez-vous Youssef Seddik qui raconte «l'aveuglement» de José Saramengo. Mais on nous dit de revenir plus tard. Le parcours s'étale à travers plusieurs rues, allant du sud au nord de la Médina. On décide de commencer par le sud. Première halte, rue Kottab Louzir avec «carton plein» qui a pris quartier à Dar Bach Hamba, une prestigieuse demeure à Souk El Blat abritant, depuis 2000, la fondation Orestiadi. De sympathiques étudiants de première année de l'Ecole d' Architecture nous font visiter les lieux. «La cabane» étant le thème proposé, des architectes français et tunisiens ont réalisés des constructions pour enfants de moins de 8 ans (pas plus de 1,20 m), avec les exigences environnementales d'une architecture réelle. Exposées à Paris, ces «cabanes», toutes en carton, font escale à Tunis. A mesure que l'on avance dans la demeure, on découvre les «constructions» mises en scène et en espace dans un parcours ludique faisant de l'enfant un partenaire. Ces cabanes en carton ont été «construites» par ces mêmes étudiants fraîchement débarqués du lycée qui se sont prêtés au jeu, non sans maladresses : quelques problèmes de finition. Mais ne soyons pas exigeants avec ces «graines» d'architectes qui participent pour la première fois à ce genre d'expérience. Une projection vidéo signée Wael Chawki est prévue également dans ces mêmes lieux. Les ruelles sinueuses de la Médina nous conduisent, au souk El kouafi, rue du Kmach, où Dalel Tangour s'est installée avec ses photos à la «médersa el mouradia». A travers son installation de photographies «mise en plis», elle raconte la médina avec ses odeurs, ses couleurs. Une Médina pliée et dépliée, une Médina en éternel mouvement. Une Médina mise en images (photographies) repliées et pliées autour des poutres de la médersa, sur les marches des escaliers et sur les murs… le tout accompagné par une projection vidéo que l'on n'a pas pu découvrir à temps le premier jour. Problèmes techniques nous a-t-on dit ! Premier jour des festivités et son lot de retards, installations pas encore prêtes, artistes peu ponctuels et «re» problèmes techniques. On décide alors de changer de direction et de voir du côté nord. On apprend par d'autres «Dreamers» que Zied Meddeb Hamrouni (ou Shinigami San) est déjà «installé» à Dar Blaich (souk El blaghjia). Il nous propose une installation vidéo sonore des images et sons qu'il a récoltés de la Médina. Au commencement, un parcours de Bab Bhar à Dar Blaiech, puis des séquences filmées dans différents sens. De même pour le son. La matière collectée est employée et redéfinie à Dar Blaiech. Des bouts de tissus suspendus ça et là sur lesquels se projettent les images filmées. Il en découle une fragmentation de l'espace et une dilatation du son, tous azimuts. Et c'est une authentique Souad Ben Slimène que l'on rencontre, par la suite, à la place publique (rue Driba). Dans une performance théâtrale « PADAM…PADAM…». Dans la peau d'une Piaf égarée, elle nous parle dans un discours décousu… des amours perdus ; elle nous chante «Padam», crie sa colère contre ces gens qui conduisent mal, qui abusent des nouvelles technologies… Entre humour doux amer et émotion, son récit nous emporte, pour un instant, dans la vie de celle qu'on appelle «la môme»… Quelques mètres plus loin, à rue Sidi Ben Arous, c'est la performance «Le sacre du temps», conçue par Imen Smaoui, qu'on découvre. Un travail collectif, comme le précise cette dernière, qui met le corps en rapport avec l'espace. Un espace loin d'être anodin : ce sont les ruines de dar Salah Bettaieb. Le projet allie performance et projection vidéo. Les corps épousent la matière, la pierre, la poussière projetée sur les murs ; ils refont surface et sortent du «cadre» pour apparaître, in situ, et dialoguer avec les lieux. «Le sacre du temps se régénère, renaît et évolue au gré du cycle de la matière». Autres œuvres de l'itinéraire rose : «Vacuum» (place du château), une vidéo de Raeda Sa'adeh», une reprise contemporaine du mythe de Sisyphe situé dans le désert, dans la ville natale de l'artiste, «Arborescence», de Parade Design à dar cheikh El Mouldi. Deux installations du côté de l'impasse du saint, une vidéo «Die tranzstunde» de l'artiste allemande Maren Strack et une collective «Vie-site.com», relevant de «l'art cinétique». Un travail collectif qui a réuni plasticiens, urbanistes, musiciens, architectes, autour du thème de la vie. A Bab Menara, Ahmed Mahfoudh nous narre la Ville de Tunis et nous propose une lecture de sa nouvelle «Pluies de septembre sur Tunis»