Aujourd'hui, devant l'Assemblée des représentants du peuple, le président français exprimera «un message fort de soutien à la transition démocratique de la Tunisie, seul pays rescapé du Printemps arabe de 2011 », indique l'Elysée. Ce sera insuffisant si cette visite n'est pas suivie d'effet. Elle devrait se solder par la mise en place d'un « partenariat stratégique d'exception longtemps promis, mais jamais réalisé ». Le président français Emmanuel Macron est, depuis hier, en visite d'Etat en Tunisie pour deux jours. Après une « visite personnelle » au Maroc, une visite « d'amitié et de travail » en Algérie, il réserve ce genre de visite à la Tunisie, comme pour ménager les susceptibilités des uns et des autres. Elle est la plus importante dans la hiérarchie protocolaire et se veut « le symbole de l'amitié entre les deux chefs d'Etat et leurs pays respectifs ». Hautement symbolique et éminemment politique, elle est généralement réservée aux hôtes illustres et son cérémonial est réglé et très codifié comme du papier à musique. Le président Béji Caïd Essebsi a eu déjà droit à cet honneur quand il s'est rendu en visite d'Etat en France au mois d'avril 2015 où il a été reçu en grande pompe par l'ancien président François Hollande. Mieux se comprendre Cette visite intervient sur fond de contestations sociales en Tunisie et de grandes attentes des Tunisiens lassés par les satisfecit dont ils sont encensés et déçus par les promesses non tenues, notamment celles de la Conférence internationale sur l'investissement tenue à Tunis fin novembre 2016 et coparrainée par la France et le Qatar. Toutefois, elle vient à point nommé pour le président de la République Béji Caïd Essebsi qui a déjà rencontré son homologue français à deux reprises au cours du sommet du G7 à Taormine, en Italie, en juin 2017 et à l'Elysée le 11 janvier. Le courant est vite passé entre les deux hommes malgré l'écart d'âge qui «ne semble pas faire obstacle au processus de rapprochement de la France et de la Tunisie ». La Tunisie, qui n'a jamais souffert de ce complexe de « colonisé », souhaite que la France comprenne mieux ses problèmes. Elle attend beaucoup de la France qui demeure son premier partenaire commercial et son principal exportateur. Tout comme l'Europe, elle sait que la crise économique et sociale impactera la rive nord de la Méditerranée et « le flux migratoire dépend à l'évidence en grande partie du (sous-)développement des régions défavorisées de ce pays, et plus largement de la rive sud de la Méditerranée », comme l'a écrit Béligh Nabli, directeur de recherche à l'IRIS, dans « Libération » du 31 janvier 2018. « Les avancées démocratiques en matière de libertés politiques et de droits de l'homme n'ont pas été suivies par une amélioration de la situation économique et sociale du pays. Ce décalage nourrit une profonde frustration au sein de la population. L'équation « démocratie-développement économique » ne se vérifie pas, a-t-il ajouté. C'est pourquoi Français et Européens devraient se montrer de plus en plus attentifs aux mutations que connaît la Tunisie pour construire de nouvelles relations avec elle et développer une coopération à tous les niveaux, culturel, scientifique, économique, politique, social et sécuritaire. La France, attraction des jeunes Tunisiens La France compte la plus forte communauté tunisienne sur ses terres, soit plus de 600.000 personnes. Elle compte également le plus grand nombre d'étudiants tunisiens à l'étranger et qui forment, depuis plusieurs décennies, une composante importante de la population étrangère de l'enseignement supérieur en France. Ils sont entre 15.000 et 16.000(sans compter les binationaux) qui sont inscrits dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur et constituent plus de 5% de la population étrangère des établissements supérieurs en France. Ils arrivent derrière les Marocains et les Algériens. Depuis 2000, le nombre des Tunisiens dans l'enseignement supérieur a progressé de 55% et la France constitue le premier pays d'accueil des étudiants tunisiens poursuivant leurs études en dehors de leur pays. Ils représentent près de 60% de l'ensemble des étudiants tunisiens inscrits dans les différentes universités étrangères dans plus de 60 pays. Selon une étude monographique réalisée conjointement par l'Observatoire national de la jeunesse et l'Observatoire français de la vie étudiante en 2009, « la France continue à mobiliser les espoirs et les attentes » des jeunes étudiants tunisiens. Toutefois, la plupart d'entre eux ne pensent pas rentrer, une fois le diplôme en poche. Ce retour semble, en effet, « conditionné essentiellement par les perspectives que leur offre leur pays ». Or, il se trouve que les conditions ne sont pas réunies pour favoriser ce retour. Bien pis, on assiste à un départ de plus en plus accentué de jeunes médecins, ingénieurs, pharmaciens, chercheurs et enseignants universitaires en Europe notamment, voire dans certains pays arabes. Même si le phénomène n'est pas nouveau, il faut reconnaître qu'il a pris ces derniers temps des proportions inquiétantes. Cet exode massif, aux allures de véritable hémorragie, n'est pas près de s'arrêter. Dans un décret publié dans le JORF (n° 0274 du 24 novembre 2017), la France, confrontée elle-même à un manque de compétences médicales, donne désormais aux étudiants étrangers en médecine, les médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes spécialistes étrangers, l'autorisation temporaire d'exercice pour les médecins et les chirurgiens-dentistes spécialistes titulaires d'un diplôme permettant l'exercice de la spécialité dans leur pays d'origine. Et ce sont pour la plupart les jeunes maghrébins qui en profitent. Aujourd'hui, devant l'Assemblée des représentants du peuple, le président français exprimera « un message fort de soutien à la transition démocratique de la Tunisie, seul pays rescapé du Printemps arabe de 2011 », indique l'Elysée. Ce sera insuffisant si cette visite n'est pas suivie d'effet. Elle doit se solder par la mise en place d'un « partenariat stratégique d'exception longtemps promis, mais jamais réalisé ».