Il n'est guère exclu qu'Ennahdha sacrifie Youssef Chahed et se rallie aux appels en faveur de son départ lors du prochain round des pourparlers du Document de Carthage bis. Auquel cas, Youssef Chahed devra se résoudre à rendre le tablier. Il aurait au bout du compte fait de mauvais calculs, contre-productifs. Il aurait surtout sous-estimé le degré d'entente et la capacité de manœuvre, envers et contre tous, du couple Béji Caïd Essebsi-Rached Ghannouchi. La crise politique enfle et perdure. Les Tunisiens ne savent plus à quel saint se vouer. Le pays va mal, l'économie est en panne, la mal-vie gagne du terrain, partout. Le blocage au sommet de l'Etat est on ne peut plus évident. La principale pierre d'achoppement du dialogue, suspendu entre deux attentismes, concerne le maintien ou le départ du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Des «sources autorisées» parlent de la reprise, la semaine prochaine, des conciliabules autour du Document de Carthage bis. Ils ont été suspendus il y a deux semaines en raison du désaccord profond sur le départ du chef du gouvernement. Encore une fois, on va assister aux mêmes scènes et scénarios en quelque sorte. Ce qui n'en finit pas de désespérer et de discréditer la classe politique dans son ensemble, sans oublier les organisations syndicales et patronales. Mais, entretemps, la discorde a enflé d'un cran. Lors de sa dernière sortie, Youssef Chahed avait prononcé un discours fustigeant frontalement Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nida Tounès et fils du président de la République. Quelques jours plus tard, il a limogé Lotfi Brahem, ministre de l'Intérieur. Pour certains observateurs, Youssef Chahed se positionne à quitte ou double. Ça passe ou ça casse d'une certaine manière. Il sait pertinemment que sa diatribe anti-Hafedh n'a guère plu au président Béji Caïd Essebsi et à son camp. En même temps, le limogeage de Lotfi Brahem satisfait en catimini les dirigeants d'Ennahdha, qui ne l'ont jamais gobé, le considérant comme l'un des porte-drapeaux des éradicateurs de l'islamisme politique. Ce faisant, estiment certains, Youssef Chahed pallie sa fragilisation auprès du camp présidentiel par un ralliement feutré mais non déguisé au clan d'Ennahdha. D'autant plus qu'Ennahdha est le chef de file de ceux qui refusaient le changement du chef du gouvernement. Cependant, il n'est guère exclu qu'Ennahdha sacrifie Youssef Chahed et se rallie aux appels en faveur de son départ lors du prochain round des pourparlers du Document de Carthage bis. Auquel cas, Youssef Chahed devra se résoudre à rendre le tablier. Il aurait au bout du compte fait de mauvais calculs, contre-productifs. Il aurait surtout sous-estimé le degré d'entente et la capacité de manœuvre, envers et contre tous, du couple Béji Caïd Essebsi-Rached Ghannouchi. La politique sous nos cieux est désormais ainsi faite. Tout le monde s'allie avec tout le monde et renie tout le monde. L'opportunisme l'emporte. La recherche des privilèges et des dignités prime toute autre considération. Cela n'est pas sans alourdir la donne. L'économie est toujours en panne, malgré un début de frémissement au cours du premier trimestre 2018 et les performances des seules exportations agricoles et du tourisme. Malgré tout, le chômage massif persiste, les investissements font défaut et les exportations demeurent en deçà du requis. Le lourd endettement extérieur du pays en est accusé. D'autant plus que les balances des paiements et commerciale demeurent largement déficitaires et que le dinar continue sa dégringolade inouïe sur fond d'inflation galopante. Les Tunisiens sont désabusés. Ils le disent, le réitèrent, l'affichent partout. La crise de confiance est sans pareille. Le désenchantement est intégral, ou presque. L'image de l'homme politique, quelle que soit sa casquette, est profondément écornée. Les réflexes civiques le cèdent aux vieilles pulsions ataviques de retour et qui ont repris du poil de la bête. Régionalisme, tribalisme, clanisme, isolationnisme, esprit de clocher, corporatisme, et bien d'autres tares psychologiques collectives réinvestissent la place. Stanley Baldwin, chancelier de l'échiquier et plusieurs fois Premier ministre du Royaume-Uni, a dit un jour : «J'aimerais mieux être un opportuniste et flotter que couler à pic, mes principes autour du cou». Les politiciens tunisiens semblent y souscrire, eux qui changent volontiers de badge au gré des volte-face.