Il y a beaucoup de non-dit et d'hypocrisie autour de cette affaire. Les calculs politiciens (politicards même) l'emportent. Certains craignent de perdre les faveurs des fondamentalistes. Le clientélisme de mauvais aloi sévit L'on abordera dans quelques mois une intense année électorale et certains se positionnent déjà sur la plate-bande des conservateurs avérés, avec leur cohorte de fanatiques et d'ultras. Alors autant faire le dos rond et cautionner par le silence l'instrumentalisation du religieux aux fins électoralistes politiciennes Bien évidemment, toute personne a le droit de s'exprimer et de critiquer ou refuser le rapport de la Colibe, qui est loin d'être parole d'Evangile. Mais cela ne doit guère virer à l'incitation à la haine et aux appels au meurtre Etrange vieux réflexe de ceux qui, à court d'arguments, en reviennent au slogan éculé, tel un leitmotiv usé : à les en croire, l'Islam en Tunisie, ici et maintenant, serait en péril. Une formule cache-misère traduisant en fait l'instrumentalisation du discours religieux à des fins purement politiciennes. On en a eu une démonstration par l'absurde vendredi dernier à Tunis, lorsque les partisans du parti Al-Mahabba ont improvisé une prière collective à l'avenue Habib-Bourguiba sous l'œil médusé des citoyens et des touristes. En toile de fond, les manifestations menées depuis peu, en règle et tambour battant, par des imams et leurs séides contre le rapport de la Colibe (Commission des libertés individuelles et de l'égalité). Le tout précédé de rumeurs et d'allégations les plus fantasmagoriques et abracadabrantes sur le contenu dudit rapport. Bien évidemment, toute personne a le droit de s'exprimer et de critiquer ou refuser le rapport de la Colibe, qui est loin d'être parole d'Evangile. Mais cela ne doit guère virer à l'incitation à la haine et aux appels au meurtre. En fait, la prière incongrue du vendredi sur l'avenue Habib-Bourguiba (dans la crasse et parmi les détritus, l'imam guidant la prière collective portant même ses souliers) traduit la conjonction de plusieurs échecs. Celui du Dialogue national d'abord. Le rapport de la Colibe n'est encore qu'une proposition, il n'a guère été discuté ni au Parlement ni nulle part, hormis les insultes, invectives, diabolisation, rumeurs et allégations mensongères colportées dans les prêches des imams, sur la Toile du web et dans la blogosphère. Dans leur écrasante majorité, ceux qui s'insurgent mordicus contre ce rapport ne semblent guère l'avoir lu. On agit par ouï-dire et l'on s'improvise gardiens du temple du rigorisme et de la fidélité à un credo le plus souvent mal digéré. Double échec du ministère de l'Intérieur et de celui des Affaires religieuses ensuite. Le premier fait la sourde oreille face aux apprentis-sorciers, professionnels et sous-traitants de la haine qui avaient pourtant annoncé la couleur d'emblée. Aucun dispositif préventif n'a été mis en place et, à l'issue de la prière improvisée à l'avenue centrale vendredi dernier, la réaction a été tardive et molle. Le second laisse faire impunément les prêches de la haine et de la stigmatisation dans l'enceinte des mosquées, en vigueur depuis de longues semaines. Pourtant, on y excommunie publiquement, on jette l'anathème, on diabolise et voue aux gémonies au vu et au su de tous. Au grand mépris des droits fondamentaux, de la Constitution, des lois positives. Les ministres font comme si de rien n'était, comme s'il s'agissait d'un débat amène sous d'autres cieux. On dirait qu'ils craignent de se prononcer. La même attitude est observée par le Chef du gouvernement, les gouverneurs, le parquet. On est plus investi dans les luttes de clans et de coteries que dans la préservation de l'esprit et de la lettre des lois et la protection de l'inviolabilité des personnes. Somme toute, il y a beaucoup de non-dit et d'hypocrisie autour de cette affaire. Les calculs politiciens (politicards même) l'emportent. Certains craignent de perdre les faveurs des fondamentalistes. Le clientélisme de mauvais aloi sévit. Et puis l'on abordera dans quelques mois une intense année électorale et certains se positionnent déjà sur la plate-bande des conservateurs avérés, avec leur cohorte de fanatiques et d'ultras. Alors autant faire le dos rond et cautionner par le silence l'instrumentalisation du religieux aux fins électoralistes politiciennes. Bien évidemment, le rapport de la Colibe peut être discuté en profondeur, critiqué et même refusé. C'est une affaire de débats intenses et de qualité des arguments. Mais l'échelle des valeurs ne doit guère attenter à la liberté de conscience et aux droits fondamentaux garantis par la Constitution, norme juridique suprême et souveraine. Et puis, dans un sens comme dans l'autre, la diabolisation et les appels à la violence et au mettre doivent être bannis. Le plus clairement et résolument. Kant définissait l'Etat comme une communauté de volontés impures sous une règle commune. Celle-ci est la Loi, la règle de droit. Remettons-nous-en aux lois de la République et récusons le fanatisme, tout fanatisme, quels qu'en soient les auteurs, les horizons théoriques et les chapelles idéologiques !