Il y a, assurément, sous nos cieux, un processus de déliquescence et de délitement de l'Etat et des institutions. Nous vivons de plein fouet une grave crise économique amplifiée par un blocage politique pervers Ce dont nous avons besoin, ce sont des dirigeants prenant le parti de l'audace, des décisions courageuses, à leur corps défendant au besoin, et à l'écoute des inquiétudes sourdes. La Tunisie n'en peut plus de cette descente aux enfers. Le pays peut se relever, doit se relever L'image d'un voyou violentant un agent de l'ordre qui a tout l'air d'un bon père de famille en dit long. Le prestige de l'Etat, dont la restauration a été le maître-mot du président Béji Caïd Essebsi et de Nida Tounès à la veille des élections de 2014, n'est plus qu'un vain mot. Les protocoles institutionnels et administratifs sont mis à mal. Les grèves sont de plus en plus sauvages, les déclarations à l'emporte-pièce des protagonistes de la place politique n'en finissent plus de jeter de l'huile sur le feu. L'un parle carrément de coup d'Etat, d'autres évoquent le retour des assassinats politiques, bref, c'est le bal des vampires. La voyoucratie est partout. Les Tunisiens vivent une espèce de dépression nerveuse généralisée. Les slogans et mots d'ordre de la révolution semblent bien lointains. Le capitalisme sauvage s'accommode fort bien des mafias politiques qui tiennent désormais le haut du pavé. Le constat est amer. Les luttes de clans investissent les réseaux sociaux. Condottieri et mercenaires entretiennent une inquiétante atmosphère de mensonges, de fake news, de rumeurs tendancieuses et de sinistrose. Des ministres, de hauts commis de l'Etat, ne semblent plus vivoter qu'à la lisière de la foire d'empoigne. Entre-temps, les prix grimpent en flèche, la paupérisation de larges franges citoyennes est de mise, le dinar dégringole, l'inflation réelle risque de devenir à deux chiffres, les réserves en devises ne sont plus que de 69 jours d'importation. Les balances commerciales et des paiements, les caisses sociales affichent leurs déficits faramineux. Les jeunes pâtissent toujours du chômage massif et les plus âgés ne sont plus sûrs de percevoir leurs pensions de retraite. Et que voit-on chaque jour ? S'il n'est question de limogeages spectaculaires de ministres et de hauts cadres à partir de dossiers qui s'avèrent au bout du compte mal ficelés, ce sont les communiqués de rencontres et pourparlers pour le moins oiseux. Untel a reçu untel, tel autre compte consulter à tour de bras, l'un vocifère et l'autre se mure dans le silence douteux. La politique y a perdu ses lettres de noblesse, ou ce qu'il en reste. Les coteries sévissent et les milices facebookiennes achèvent de plonger tout ce triste monde dans la fange et la boue. Les Tunisiens ne croient plus en rien, en personne. Ils végètent au ras du sol, pressurés entre le marteau de la politique politicienne et l'enclume de la crise économique pérenne. Une atmosphère du jour d'après une catastrophe majeure sévit. Et nos politiciens n'en ont cure. Ils aiguisent leurs couteaux en vue d'une année politique chargée, gorgée de visées électoralistes et de mauvaise foi. Même la rentrée scolaire, fête républicaine par excellence à laquelle les Tunisiens ont toujours été attachés, risque d'être hypothéquée. A la défaveur du corporatisme, des isolationnismes et de l'esprit de clocher. Et puis, les premiers responsables se calfeutrent dans le mutisme. Les trois présidences traînent dans les interstices des luttes de palais. Si Mohamed Ennaceur, président du Parlement, s'en tient à son silence désormais légendaire, les présidences de la République et du gouvernement s'escriment dans la guerre d'images. Eleanore Roosevelt, épouse du président Franklin Delanoe Roosevelt, a dit un jour à propos du président John Fitzgerald Kennedy : «Jack devrait montrer un peu moins de son image et un peu plus de son courage» ! Et au plus fort d'une crise grave, François Mitterrand avait évoqué Danton disant : «De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace». Justement, ce dont nous avons besoin, ce sont des dirigeants prenant le parti de l'audace, des décisions courageuses, à leur corps défendant au besoin, et à l'écoute des inquiétudes sourdes. La Tunisie n'en peut plus de cette descente aux enfers. Le pays peut se relever, doit se relever. La Tunisie saura retrouver son chemin. A condition que l'ego surdimensionné de ceux qui nous gouvernent disparaisse. Et qu'ils sachent que leur temps est révolu, du moins dans leur configuration actuelle et à défaut d'un sursaut rageur. Autrement, cette rue inquiète, fiévreuse et en désarroi les surprendra tous tant qu'ils sont. A leurs dépens.