Ce qui nous réjouit au cours de cette 23e édition des JCC, c'est, comme de tradition, l'effervescence devant les salles de cinéma du centre-ville et le nombreux public qui ne rate pratiquement aucun des films programmés, aussi bien dans la compétition officielle des fictions que dans celle des documentaires. Quoi de plus normal, donc, d'avoir instauré le «Prix du public». Cette fébrilité devant les salles obscures nous a changé d'emblée de la «froidure» ayant marqué l'ouverture des JCC qui s'est déroulée sans ce plus tant attendu par rapport à l'édition précédente Espérons qu'il en sera autrement à la clôture ! Mais si l'affluence du public est rassurante, en ce sens qu'elle reflète l'engouement du public malgré la déferlante des satellitaires et des clubs de DVD, il faudrait que les exploitants de salles suivent le mouvement et sachent accueillir le public de cinéphiles. Par exemple, en ne vendant pas plus de billets qu'il n'en faut, tout en n'omettant pas de prendre en compte les détenteurs de badges entre professionnels et journalistes locaux et invités. Concernant cet aspect-là, un rappel à l'ordre de certains de ces propriétaires ou gérants de salles s'impose. En tout cas, l'on ne comprend pas que la compétition officielle des documentaires se déroule dans la salle du 4e Art, très exiguë pour accueillir tout ce beau monde qui afflue pour voir les films de cette section très suivie, tant la sélection est de qualité. Le documentaire Séparations du tunisien Fethi Saïdi fait justement partie de ces films qui suscitent l'intérêt. Séparations : rêves brisés d'un clandestin Fethi Saïdi a fait des études approfondies en sciences de l'éducation et en cinéma anthropologique et documentaire, Séparations est son troisième film. Le réalisateur suit à la trace dans cet opus un immigré clandestin, Mohamed, qui a embarqué l'été 2008 sur un rafiot parti de Libye en direction de l'Italie, avec 350 autres clandestins. Il débarque sur l'île de Lampedusa après 36 heures de traversée. Commence alors une nouvelle vie pour Mohamed… Mais pas celle qu'il espérait en quittant son pays : en fait une vie si dure, toute émaillée de difficultés. De l'Italie, le héros Mohamed se rendit à Nice, puis à Paris. Lui qui espérait améliorer son existence et celle de sa famille, en trouvant rapidement un boulot, n'a travaillé pratiquement que deux semaines… Impossible de trouver un travail, cet objet du désir, tous les rêves chimériques se sont envolés. C'est l'errance dans le froid du Nord pour Mohamed désormais en butte à la triste réalité. Son voyage clandestin est demeuré sans issue. Rêves brisés. Dans Séparations, la caméra de Fethi Saïdi a opéré pendant 8 mois un va-et-vient entre Tunis où elle filme le quotidien de la famille de Mohamed et la France (Nice et Paris) où elle filme le drame que vit notre héros négatif. L'on voit, donc, d'un côté les espoirs et rêves des six membres de la famille (la mère et les enfants) et, de l'autre, l'âpre quotidien de Mohamed et ses démêlés avec ceux qui lui ont offert un gîte à Paris pour quelques semaines (un compatriote, puis sa belle-sœur). La caméra distille, elle, des deux côtés, la douleur de la séparation, surtout que Mohamed a immigré à un âge relativement avancé, la cinquantaine, laissant derrière lui femme et enfants qui lui ont énormément manqué. Séparations pose ainsi le problème de l'immigration clandestine, en temps de crise (montrés par les manifestations qui se déroulent à Paris): est-elle la solution, la panacée? La réponse est claire : les horizons sont plus que bouchés. A travers ce portrait et cette chronique sociale, culturelle, géographique et ethnographique, Fethi Saïdi scrute l'humain face aux différences culturelles et civilisationnelles, en toute objectivité, sans jamais prendre parti, donnant à réfléchir sur une situation et une problématique données : ici l'immigration clandestine. Mais pourquoi le titre du film Séparations se décline-t-il au pluriel ? Tout simplement parce qu'il y a une double séparation : Mohamed s'est séparé de sa famille, mais aussi, après huit mois de filmage, de l'équipe de tournage qui l'a suivi dans son errance clandestine… A voir. Shirley Adams : tanitable Olivier Hermanus, retenez bien ce nom, est l'auteur-réalisateur de Shirley Adams, son premier long métrage en lice dans la compétition officielle de fiction. Pour un coup d'essai, on peut dire que c'est un coup de maître. Réalisé en vidéo avec peu de moyens, ce long métrage représente l'autre face de la guerre des gangs, dans les ghettos du Cap… C'est plutôt la conséquence dramatique de la violence qui marque la société sud-africaine. Le réalisateur raconte l'histoire d'une mère courage dans un combat quotidien pour voir son fils Donovan — sa raison d'être — esquisser ne serait-ce qu'un sourire. Devenu invalide après avoir été touché par une balle dans le cou, Donovan, quitté par son père qui n'a pu supporter cette nouvelle situation, a tenté de se suicider à plusieurs reprises… Shirley Adams filme cette histoire forte, sensible et émouvante avec sobriété, sans jamais montrer ce par quoi tout est arrivé : la violence. L'histoire est tellement forte qu'elle transcende la technique et l'esthétique, parfois approximative, tels ces plans où l'on perçoit l'image trembler. Shirley Adams, comme son nom l'indique, est portée par ce personnage féminin, toujours filmé de dos, comme si elle scrutait son passé dans l'attente de lendemains meilleurs et d'un horizon plus large et plus clair. La force du film réside également dans l'excellente interprétation de l'actrice Denise Newman (la mère) qui mérite aussi bien que le film d'être récompensée et «tanitée». Excellent !