• Poète inspiré, Moëz Majed est aussi un poète inspirateur qui brandit un flambeau, celui de la beauté intrépide. La poésie et une vaste composition picturale qui se sent au lieu de se voir Après L'Ombre… la lumière, paru en 1997 aux éditions Arabesques, après Les rêveries d'un cerisier en fleurs, paru en 2008 aux éditions Contraste, Moëz Majed revient aujourd'hui avec L'Ambition d'un verger, qui vient à peine de paraître à Paris, chez l'Harmattan. Patrick Voisin, agrégé de grammaire et professeur de chaire supérieure aux Ecoles normales supérieures Ulm et L.SH Lyon, a signé la préface. Il a, d'instinct, saisi et perçu le sens profond de la poésie de Moëz Majed au point de se transformer en miroir où sont venues se réfléchir toutes les préoccupations, les interrogations et les inquiétudes du poète. Parce que chaque grand poète intègre le monde d'une façon qui n'est qu'à lui, faisant ainsi du rêve le grand ressort de sa vie, notre jeune poète (il est né à Tunis le 16 juin 1973), semble détaché du monde matériel qui l'entoure. Son inspiration, plutôt lyrique et exaltée, traduit sous forme d'aphorismes l'accord profond des forces naturelles et des aspirations humaines, forgeant ainsi une véritable esthétique, ondoyante comme la beauté qu'il poursuit sans relâche et qui s'épanouit dans ses poèmes. «Vivre en un jour ce qui pourrait être une vie Et vivre toute une vie dans un poème inachevé». Il faudra du temps encore pour que les scènes de la vie quotidienne deviennent des instants de vie du poème, restitués par la destinée des mots dont la saveur rétablit toute une époque. Alors, les mots ne resteront pas inachevés. Les ponts dressés par-delà les rives sont l'emblème d'une poésie qui ne se construit que pour mieux s'engloutir. «Où trouverons-nous la force de périr dans l'honneur? Ô mon bras, ô ma face! Que n'ai-je à saisir l'éternité? Offrir mon torse nu à la pointe de leur glaive?» (Chant de l'autre rive) La fête du chaos est bien la forme que prend la poésie de Moëz lorsqu'elle est à la parade, violence fructueuse qui ne peut pas même être fixée par un hypothétique sens. «Où pourrais-je abandonner Tous mes trophées de guerre?» (Kairouan en fut la source) Avec le chapitre sur Kairouan, gardienne et dépositaire de son atavisme originel, le cycle de création et de destruction a atteint sa densité la plus forte; il se déploie dans les dimensions mêmes de chacun des poèmes. C'est ce qui donne à ces œuvres leur puissance visuelle et c'est ce qui les rend également indépassables. L'exploration des possibilités de la langue, de la parole, a désormais atteint ses limites. L'aventure poétique laissera sûrement la place à d'autres expériences que nous espérons imminentes. L'œuvre de Moëz Majed, en digne fils de son père, l'immense Jaâfar Majed, représente en effet une rupture radicale avec les normes et les règles fixant le modèle classique de la poésie. Cette rupture défait les règles arbitraires de la versification, pour imposer, selon les exigences de chaque poème, ses propres règles et contraintes. Désormais, la frontière est plus ténue encore entre vers et prose, grâce au vers libre et à ce poème en prose que l'auteur réinvente. Pour conclure, disons que pour traverser le monde, de plus en plus difficile à décrypter, où nous vivons, la lisibilité extraordinaire de l'Ambition d'un verger peut être un sauf-conduit. Ainsi la poésie des mots, nés à l'ombre d'une lumière, nous offre encore la possibilité d'apprécier de longs instants de bonheur qu'il ne tiendra qu'à nous de prolonger. Le temps n'est jamais perdu; retrouvons-le chaque fois que nous nous penchons sur Moëz Majed, une sorte de génie à éclipses. ——————————— * L'Ambition d'un verger, de Moëz Majed, L'Harmattan, Paris, octobre 2010 Préface du Pr Patrick Voisin Illustration : L'étoile de feu, de Zied Lasram