Le premier colloque international sur le mécénat culturel en Tunisie intitulé «Patrimoine, entreprise et créativité» s'est déroulé les 28 et 29 octobre au palais du baron d'Erlanger à Sidi Bou Saïd. Il a été coorganisé dans ce lieu hautement symbolique — le baron s'étant révélé un protecteur des artistes et des artisans et un grand promoteur de l'architecture arabo-islamique — par la toute jeune association tunisienne Tourath (Patrimoine), l'Agence de codéveloppement franco-tunisienne ACFT, en partenariat avec le ministère tunisien de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, le ministère français de la Culture et de la Communication et les organisations patronales tunisienne et française, à savoir l'Utica et le Medef. Synergies Pionnier en la matière, ce colloque, qui a réuni autour de la même table architectes, archéologues, historiens et hommes d'affaires, entreprises mécènes, juristes et financiers tunisiens, français, espagnols et marocains, a eu le mérite de travailler sur les synergies possibles entre le monde de l'argent et celui de l'art et du patrimoine. Il s'agit d'une première, très bénéfique, en Tunisie. Rarement ces deux univers se sont rencontrés auparavant. Les séminaires, les tables rondes et les journées d'étude sur des problématiques en relation avec l'héritage architectural se sont beaucoup multipliés ces dernières années. On y tirait la sonnette d'alarme pour attirer l'attention sur l'urgence de restaurer, de sauvegarder, de reconvertir, de valoriser et de classer des monuments et des sites d'un pays riche de 3.000 ans d'histoire. Par manque de moyens, ces opérations exigeant des financements plutôt lourds, les projets aussi enthousiastes soient-ils croupissaient dans les tiroirs et les mémoires…Jusqu'à la prochaine journée entre experts…Un sentiment très fort et général se faisait sentir de la part des fervents défenseurs du patrimoine : on était face à une impasse… «Ce colloque a mis en évidence le rôle que pourrait jouer le secteur privé dans les activités de protection et de mise en valeur du patrimoine. Il a mis en relief également l'importance que revêt le développement de la culture de l'entreprise citoyenne proche de son environnement. Notre conviction est celle-là : avec des projets créatifs et innovants, le patrimoine peut constituer une source de richesse et d'emploi intarissable. Il y va du développement d'activités touristiques et culturelles à forte valeur ajoutée» : c'est ce qu'affirme Rejeb Elloumi, président de Tourath. Expert comptable, grand voyageur, vice-président de l'Agence pour le codéveloppement franco-tunisien, Rejeb Elloumi commence à s'intéresser au patrimoine en 2008 grâce à une action de mécénat montée par l'ACFT en collaboration avec la région Provence-Alpes- Côte d'Azur, au profit de l'Institut national du patrimoine pour une durée de six ans. Il s'agissait d'une contribution à la modernisation et à la réhabilitation du Musée de la Médina de Tunis, Dar Ben Abdallah et de ses environs. L'ACFT a d'autre part récupéré, restauré et donné au musée Dar Ben Abdallah un costume de mariée datant du dix-huitième siècle et un bijou beylical très ancien chiné chez un antiquaire belge. L'amour du patrimoine étant un virus, Rejeb Elloumi s'y accroche et comprend qu'en sensibilisant ses connaissances qui se recrutent parmi les professions libérales, les hommes d'affaires et les entrepreneurs indépendants, des partenariats actifs pourraient voir le jour. Notamment ceux visant l'échange d'expériences entre le nord et le sud de la Méditerranée en matière de mise en valeur des monuments et surtout de mécénat culturel. Un vide juridique Pratique très ancienne, remontant à il y a plus de 2000 ans, le mécénat — mot qui découle du nom de Maecenas, richissime ami de l'empereur romain Auguste et protecteur des poètes — s'est beaucoup développé pendant la Renaissance italienne. C'est un acte simple par lequel une entreprise décide délibérément de consacrer des ressources au soutien d'une activité d'intérêt général sans contrepartie commerciale directe, pour rehausser son image et associer ses salariés à ces valeurs culturelles et sociales. Fiscalement, le mécénat est un don et donne le droit à des déductions sur les bénéfices imposables. Or le colloque a révélé que le mécénat en Tunisie n'avait pas encore de définition légale dans la législation actuelle. Le Code du patrimoine ignore ce chapitre et le Code fiscal lui accorde une place mineure en comparaison avec ce qui se passe en Europe et même dans des pays arabes comme le Maroc ou le Liban. «Parmi les recommandations de notre colloque, nous demandons pour les entreprises la déduction totale sur leurs bénéfices imposables des dons accordés aux associations et organismes travaillant sur le patrimoine. Il faudrait également que le mécénat entre dans le cadre de l'objet social d'une entreprise. Créer, comme le fonds de solidarité 26-26, un fonds dédié au patrimoine. Encourager les travaux de restauration par l'imposition d'un taux de TVA réduit, à l'instar de ce qui se passe dans l'univers de l'artisanat. L'exonération fiscale des transactions immobilières en matière de droit d'enregistrement dans les zones classées à condition de s'engager dans des actions de restauration selon des cahiers des charges précis», annonce Rejeb Elloumi. L'expert comptable est également très heureux de signaler le projet promis par le MEDEF de créer au sein de ses structures une commission mécénat pour inciter les entreprises françaises implantées en Tunisie (1.260 en tout) à investir dans le patrimoine. Tourath, elle, continuera le travail de sensibilisation en organisant les mois qui viennent, régulièrement, des tables rondes sur des thèmes pointus en rapport avec le mécénat.