BEYROUTH (Reuters) — Des tempêtes de sable balaient l'Irak. Des inondations inhabituelles sont signalées en Arabie Saoudite et au Yémen. La montée du niveau de la mer érode les côtes égyptiennes. Et le climat plus chaud et plus sec aggrave les problèmes d'accès à l'eau potable au Proche-Orient. Le monde arabe subit aujourd'hui des phénomènes qui semblent corroborer les prédictions sur le changement climatique. Même si les scientifiques prennent garde de ne pas établir de lien entre ces événements spécifiques et le réchauffement de la Terre, ils exhortent les gouvernements de la région à agir dès maintenant pour protéger leurs pays de catastrophes potentielles. Les écarts d'émissions de gaz à effet de serre varient considérablement entre pays de la région, les taux les plus élevés étant constatés chez les producteurs d'hydrocarbures. Le Qatar a enregistré en 2006 le taux d'émissions par tête de dioxyde de carbone le plus élevé de la planète, avec 56,2 tonnes, alors que l'Egypte atteignait seulement 2,25 tonnes, selon les statistiques des Nations unies. Dans son ensemble, la région a relativement peu contribué dans l'histoire aux émissions de gaz à effet de serre, mais elle est parmi les plus exposées au changement climatique, et le taux des émissions y est en pleine expansion. L'inaction n'est pas une solution, estime Mohamed Al Ahsry, ancien directeur du Global Environment Facility, un fonds d'aide aux pays en développement sur le climat, qui appelle à s'attaquer dès maintenant aux problèmes environnementaux auxquels les pays arabes sont confrontés. Prendre en compte le problème de l'eau aurait le double avantage de répondre aux questions du changement climatique et aux problèmes liés à la croissance démographique, le Pnud estime qu'elle atteindra près de 600 millions d'habitants en 2050. "Dans une région déjà confrontée à de nombreuses contraintes qui ne sont pas liées au climat, le changement climatique et son impact potentiel sur le plan physique et socioéconomique vont probablement exacerber cette vulnérabilité et conduire à une instabilité à grande échelle", prévient l'agence de l'Onu dans une étude parue cette année. Le manque d'eau représente le plus grand défi. Sans mesures urgentes, les pays arabes risquent une grave pénurie d'eau dès 2015, avertit le Forum arabe pour l'environnement et le développement (Afed) dans un rapport publié début novembre. D'ici cinq ans, chaque habitant devra survivre avec moins de 500 m3 d'eau par an, moins d'un dixième de la moyenne mondiale qui dépasse 6.000 m3. Le changement climatique aggravera la situation dans une région où les températures pourraient augmenter de 2 degrés Celsius dans les 15 à 20 prochaines années et de plus de 4°C d'ici la fin du siècle, selon le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). La pénurie d'eau et la montée du niveau de la mer est déjà une réalité, mais l'opinion publique l'ignore. "Les gens ne sont pas toujours conscients de ces conséquences. Quand vous parlez de changement climatique, ils pensent que ce sera pour la Lune ou les autres pays", dit le secrétaire général de l'Afed, Nadjib Saâb. Des travaux réalisés par le centre de télédétection de l'université de Boston à partir d'images satellite estiment qu'une montée d'un mètre du niveau de la mer affecterait 42.000 km2 de terre dans la région — une superficie quatre fois supérieure à celle du Liban — et 3,2% de la population, contre 1,28% de la population pour l'ensemble du monde. "Notre étude démontre qu'au cours du siècle, le Croissant fertile (Irak, Syrie, Liban, Jordanie, Israël et territoires palestiniens) perdra tout signe de fertilité si la situation n'évolue pas", souligne Nadjib Saâb. Populations déplacées Les gouvernements arabes prennent au sérieux les pénuries d'eau — ne serait-ce que pour leur survie politique — mais laissent trop souvent les questions de climat à leur ministère de l'Environnement, selon Habib Habr, directeur régional du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue). "Les politiques sont là, mais on constate souvent un défaut de mise en place ou d'application de la loi", dit-il. Dans certains pays, les événements climatiques et la pénurie d'eau ont déjà provoqué des déplacements de population. En 2007, une sécheresse a fait des centaines de milliers de déplacés dans l'Est de la Syrie. Au Yémen, le manque d'eau accélère l'exode rural et la population de Sanaâ, la capitale, connaît une croissance annuelle de 8%. Le flux des migrations transfrontalières pourrait aussi grossir au vu des inégalités entre pays. Mohamed Al Ashry ne juge pas la situation désespérée mais "c'est maintenant qu'il faut agir", dit-il, "car dans dix ans, ce sera pire. Il y aura plus de gens, moins de ressources et l'écart entre riches et pauvres se sera encore creusé".