Décidément, les Journées musicales de Carthage gagnent, d'un spectacle à l'autre, en qualité et en intensité. Mardi dernier, à la Bonbonnière, on a eu droit à deux belles découvertes. La première ,Made in Tunisia, durant la première partie de la soirée, a été consacrée à la compétition catégorie chant et œuvre instrumentale, à travers «Contemplation». Un morceau signé Béchir Gharbi (luth) qui, avec (et surtout) son frère jumeau au violon (saisissant), ont convaincu un public conquis par autant de talent, de sensibilité et d'acuité de la prestation. La seconde, du Mali, a présenté Bassekou Kouyaté, une valeur sûre de la musique africaine. Il était présent sur scène, avec les cinq membres de son groupe et son épouse Amy Sacko, devant une salle qui commençait à désemplir, une fois la partie destinée à la compétition terminée (on ne consomme que local paraît-il), mais qui n'a pas tardé à se remplir à nouveau tant la musique était tentante! En introduisant le groupe, du patrimoine malien aux allures de blues et de jazz a été promis. Mais, c'est bien plus que ça que ce virtuose, fier de son instrument de musique le n'goni, a offert. Descendant de la lignée des grands n'gonifôlaw (joueurs de n'goni), cet artiste de renommée a énormément contribué à la promotion de cet instrument mythique et légendaire dans le monde. Une fois sur scène, la note est donnée et les mains flottantes de l'artiste donnent vie à cet instrument qui rappelle (l'aspect) le gumri et dont le son semble parvenir d'une descendante hybride entre un luth et une guitare. Deux morceaux en avant-goût, le temps de la première découverte, des spéculations mais surtout le temps de savourer ces sonorités chargées d'émotion et d'énergie , avant que l'artiste évoque brièvement son instrument le n'goni, la véritable attraction du spectacle. Ce n'est pas une guitare nous dit-il, tout sourire. Une recherche ultérieure montre que cette harpe à chevalet ou petite guitare du monde mandingue, appelée aussi djéli n'goni (luth de griot), est un instrument à cordes mélodique. Fait d'une seule corde au départ pour distraire les bergers au cours de leur promenade avec les troupeaux, il évoluera, petit à petit, et gagnera trois cordes avec les griots malinké qui le transforment en un instrument à quatre cordes pour qu'il soit plus agréable, d'où cette appellation de djéli n'goni. Cet instrument est considéré comme l'un des premiers instruments de musique du Mali. L'on comprend ainsi qu'il ne s'agit pas uniquement de prouesses techniques qui, dans le cas de Bassekou Kouyaté, sont saisissantes mais de mémoire collective de legs et de l'histoire de tout un peuple que l'artiste a conté des bribes en musique. Guidés par le déhanché et la voix douce de la chanteuse Amy Sacko, les trois musiciens (on devine un n'goni bass et une calebasse) qui accompagnaient l'artiste ont su, avec grande énergie, et grâce à la prestation et les mouvements sur scène, lui donner la réplique. Plongés dans les tissus et les drapés aux coloris chauds du continent-mère et bercés par le timbre d'une voix et par le son des cordes enchanteresses, on s'imagine, le temps d'une chanson, des histoires antiques de guerriers et de rois. On en redemande!