• Le drame poignant d'une famille à la dérive qui a perdu tous ses repères, à cause d'une foi altérée par des interprétations mal fondées. Alors que la polémique bat son plein sur la stratégie à engager face aux menées subversives et souterraines qui se trament secrètement et qui sont l'œuvre d'un véritable radicalisme religieux, obscurantiste et moyenâgeux, une attitude en totale opposition à l'instruction, à la raison et au progrès qui recommande vivement le retour à un Islam pur et dur et rejette vigoureusement la modération, cette valeur suprême qui fait l'essence de l'Islam, voilà qu'arrive sur le marché un livre qui sort de l'ordinaire et qui, sans aucun doute, va susciter un vif intérêt en librairie. L'auteur, Mohamed Bouamoud, est un habitué du succès. Essayda El Manoubiya, 2e prix du roman tunisien, La Médina Hammamet, juillet 2008, Visages aux éditions Bibliomed, février 2009, prix découvertes au Comar d'or, avril 2009 et Les années de la honte, Sud-Editions, mars 2010, Mention spéciale au Comar d'or, avril 2010. Ce qu'Allah n'a pas dit (Ma qalech bih Rabbi) est inspiré de faits réels ayant existé, mais bien sûr romancés afin de retenir l'attention du lecteur. On ne sort pas indemne de sa lecture. L'ampleur et l'horreur de la tragédie vécue par la famille de Hadj Sadek Delgi, commerçant prospère dans les souks de la Médina de Tunis, égarée dans les méandres tortueux d'une lecture malsaine de la religion qui, à force d'interdits et de «Layajouz» (cela n'est pas permis) a vidé de sa substance l'essence même de sa pratique. Dans ce livre, Bouamoud a voulu dénoncer le fondamentalisme religieux qui, telle un pieuvre avide et insatiable, tend à se développer dans tous les sens. A travers le vécu quotidien de cette famille composée du père, de la mère, Hasna, des deux filles, Alia et Sonia, et du benjamin, Karim, un portrait détaillé de cette réalité complexe où tous les interdits, particulièrement ceux qui touchent de près aux libertés de la femme, sont livrés à la curiosité du public. Ce qu'Allah n'a pas dit nous ramène à une réalité combien amère que la société musulmane est en train de subir à son corps défendant. L'intégrisme le plus radical sous son visage le plus hideux, le plus monstrueux, répond en écho à l'ignorance nourrie par le charlatanisme qui sait exploiter la crédulité des gens pour vanter des boniments trompeurs et fallacieux. Hadj Sadek estime une calamité, la naissance de ses deux filles. Aux arguments justifiant la réalité du Prophète qui n'a eu que des filles, il rétorque : «A l'époque, les écoles et collèges n'existaient pas. Les filles, par qui le scandale arrive, étaient enfermées» (dixit). Après avoir chassé son épouse du lit conjugal, sous prétexte qu'il est indécent de s'enfermer dans une même chambre, il a verrouillé à clé ses filles de peur que leur frère cadet ne soit tenté de commettre l'irréparable. Dans ce climat délétère qui corrompt l'esprit et pourrit le cœur, le fils abandonne l'école tout comme sa sœur aînée, selon le bon vouloir du père. Quant à Sonia, si elle peut poursuivre ses études, elle doit porter la «burqa», ce voile intégral qu'elle prend soin d'enlever aussitôt l'enceinte du lycée franchie. Les thèses que défend El Hadj sont intolérables. Pas de manuels scolaires en langue étrangère, pas de livres de sciences exactes, ni de philosophie, sport ou musique. La vie devient un enfer. Les femmes sont interdites de sortie, sauf pour aller au hammam une fois par semaine. Une sentinelle est placée devant chez lui pour épier la famille et guetter les moindres faits et gestes. C'est ainsi que le fils, Karim, se retrouve embrigadé dans les cellules terroristes responsables de l'attaque sanglante d'une administration publique au cœur de Bab Souika au début des années 80. Cette nouvelle remplit de joie son père qui exulte à l'idée d'avoir offert en holocauste et sacrifié son fils pour la gloire de l'Islam. Sonia fait la connaissance d'un garçon qui lui fait goûter le paradis artificiel des joints et, par la même occasion, l'engrosse. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, le fils qui se fait arrêter avec le commando, se suicide, et Sonia, la pécheresse, est assassinée par son père à coups de pierre, celle dont il se sert pour ses ablutions. Lui-même est froidement tué par Hasna, sa femme, qui se livre à la police. Alia, l'aînée, seule rescapée du naufrage, perd la tête et s'enfonce dans l'errance et le dénuement jusqu'à trouver la mort, écrasée par un train qui venait vers elle. Dans sa folie, elle avait confondu les feux du train avec les yeux de Dieu. Elle est morte avec cette prière sur les lèvres! «Je viens vers Toi, Allah. Je veux Te rencontrer pour Te dire ce que Tes créatures ont fait de Ton Livre». Terrible sentence à propos d'une réalité qui fait peur. ————— * Ce qu'Allah n'a pas dit, de Mohamed Bouamoud, Sud-Editions. Tunis-décembre 2010