Parfois il faut pousser très loin les choses, pour pouvoir prendre la mesure du désastre qui pourrait advenir, dans la logique des évènements que le roman relate, partant du fait qu'un roman, se nourrit autant de l'imagination de son auteur, que de l'air du temps. A savoir l'atmosphère ambiante qui ne manque pas d'instiller, fut-ce au goutte- à goutte et subrepticement, son poison, si le ciel est de plomb, et l'espoir d'en découdre au cas où les nuages s'avèreraient passagers, et finissent par laisser, magnanimes ou vaincus, le soleil prendre, radieux et fier, ses quartiers d'été même au cœur de l'hiver. Sauf que l'optimisme béat autant que le soleil en plein hiver ne sont pas, loin s'en faut, les propos du roman, ni sa logique qui broie du noir malgré quelques accalmies, ou quelques percées trompeuses, puisqu'on y suit le quotidien, en apparence calme et tranquille d'une famille comme tant d'autres, qui finit par s'enliser, doucement mais sûrement, dans un marécage, nauséabond et pestilentiel, où sévissent des créatures qui préfèrent ne retenir de la foi, que le côté obscur qui est loin d'en refléter la lumineuse clarté, puisque ce côté obscur n'est que le fruit de leur propre délire… « Ce qu'Allah n'a pas dit » est le quatrième roman de Mohamed Bouamoud (Sud Editions, Tunis), construit autour de la figure de Hadj Sadek Delgi, le patriarche, tyrannique et obtus, qui tient un commerce à la rue Ezzitouna, obéit aveuglément à un mentor qu'il appelle le « Modèle », cloître sa femme et la traite comme un objet usagé que l'on relègue dans un coin sitôt qu'elle a fini de servir, empêche sa fille aînée de continuer ses études, l'enferme à son tour comme dans une prison, refuse le premier, puis le second prétendant au mariage sous des prétextes fallacieux, qui auraient à voir avec une pseudo-piété dont il n'a retenu du message que l'écorce sans le sens, et épie, d'un œil soupçonneux et rageur, les agissements de la cadette, en attendant le moment dont l'imminence culmine, de l'arracher à son tour à l'école comme à la vie, en fermant sur elle, à triple tour, et définitivement, la porte du domicile familial. Mais le meilleur est à venir : lui, Hadj Sadek Delgi, honorable commerçant des souks de Tunis, offrira son fils unique en pâture, aux loups aux aguets, en le jetant dans les bras du « Modèle ». Il fera le « Jihad », fera couler du sang, et ira croupir en prison. Ce qu'Allah n'a pas dit… En grossissant le trait, en poussant les choses jusqu'à l'extrême, ne craignant pas d'aller jusqu'à la caricature sans toutefois boursoufler les personnages qui demeurent crédibles, l'auteur boucle ce roman haletant qui obéit à une structure cyclique, sur une tragédie sans rémission. Alia marchait tête baissée, non pas vers la liberté enfin retrouvée, mais vers sa mort. Le train ne sifflera pas trois fois… Samia HARRAR * Tunis : Sud Editions, 2010, 171 p.