Il aura fallu que tout un régime tombe pour que les cinéastes tunisiens puissent se réunir de nouveau autour d'une association qu'ils croyaient avoir perdue. L'ACT, Association des cinéastes tunisiens, était dirigée depuis de longues années par le réalisateur Ali Lâabidi, qui refusait d'en céder les rênes. Considéré par ses confrères comme un des symboles, dans le métier, de l'ancien régime sur lequel il ne s'appuyait que trop souvent, il ne représente désormais que l'une des ruines de ce pouvoir révolu. Il aura aussi fallu quelques réunions pour rassembler et mobiliser les «troupes» des travailleurs dans le domaine cinématographique. La dernière a eu lieu hier, à la maison de la culture maghrébine Ibn Khaldoun. Marquante, cette assemblée générale que les ACTiens qualifient de révolutionnaire, puisqu'elle leur a permis d'élire un bureau exécutif provisoire qui a été accueilli avec beaucoup de soulagement. Les débats houleux se sont transformés en prises de parole, les règlements de comptes ont fait place à une action qui se base sur le consensus. On a même fait appel aux services d'un huissier-notaire pour les besoins de cette assemblée qu'on voulait légale et légitime. Sa tâche n'était pas des plus évidentes mais elle était déterminante. Après l'échange d'avis et d'idées, il a résumé, en effet, les interventions en trois propositions: soit de reporter l'assemblée de deux semaines, afin que chacun réfléchisse à un programme d'avenir pour l'association, surtout s'il compte se présenter aux élections du bureau exécutif; soit de créer une toute nouvelle association et d'abandonner l'ACT; soit encore de voter un bureau exécutif provisoire. Les présents ont penché pour le dernier choix, bien qu'un bon nombre des futurs membres de l'ACT dans sa nouvelle «version» ne soient pas du même avis. Ismaël Louati, vidéaste indépendant, justifie sa position en affirmant que la rapidité du processus fait que l'action ne se construit pas sur des bases solides. «On ne peut pas régler une question de vingt ans en deux semaines», ajoute-t-il. Selon lui, il faut, d'un côté, se donner plus de temps et de l'autre, élargir le cercle de l'association aux étudiants de cinéma et pourquoi pas aux fédérations, celles des ciné-clubs et des cinéastes amateurs. A la place d'un bureau exécutif, il propose la constitution d'une commission élargie qui, durant un mois ou plus, se chargerait de préparer l'assemblée générale élective et de laisser la possibilité de faire des campagnes et de débattre avant la prise de position. Mais voilà, la majorité a penché pour le vote tout de suite. Les inscriptions ont été ouvertes aux membres qui ont même payé une cotisation. Quinze de ces derniers se sont présentés aux élections du bureau. Seuls les neuf premiers doivent former ce bureau. L'un des candidats, Amine Chiboub, nous a confié que cette action est historique, puisque liée à la chute de l'ancien régime. L'urgence est pour lui aux nouvelles réformes dans le cinéma. Il pense particulièrement à la commission de censure et à l'autorisation de tournage qui doivent être supprimées. Des réformes possibles grâce à des réflexions et des discussions saines dans la durée. Âgé d'à peine 28 ans, ce jeune réalisateur a remporté le plus grand nombre de votes. Chose qui prouve qu'un conflit des générations n'a pas lieu d'être au sein de l'association, ni même dans le secteur. «Jeunes et moins jeunes avancent ensemble», affirme-t-il et il n'est pas le seul à le penser. En le questionnant, le réalisateur Mohamed Ali Okbi («Un ballon et des rêves», «Les zazous de la vague»), a été du même avis. Ce dernier ajoute que la nouvelle génération devra faire attention à ne pas tomber dans le piège de la confusion entre le politique et le culturel. «Les jeunes ont fait preuve d'une grande maturité», dit-il, «mais ils ne sont pas une masse homogène. Ils doivent donc se prémunir contre les manipulateurs dans leurs groupes». Lui aussi fait partie du nouveau bureau exécutif qui vient d'être élu. Ses neuf membres se réunissent, en principe, aujourd'hui ou demain pour élire un président et répartir les tâches. Constitué de neuf membres, le nouveau bureau a été reçu comme un bon signe, surtout que ses membres sont majoritairement jeunes, à l'image de la Tunisie que nous voulons désormais, serions-nous tentés de dire. Le nouveau bureau Amine Chiboub Marouene Meddeb Mounir Baâziz Bahri Ben Yahmed Ghanem Ghaouar Marwa Rekik Chiraz Bouzidi Anis Lassoued Mohamed Ali Okbi