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Le «voyage» raté
Orient-Occident
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 02 - 2011

«L'Europe est un mythe, une idée et une illusion» A. Laroui
Chez les Arabes anciens, l'Occident était toujours cet endroit si lointain et si sombre. Pour cela, dans leur langue, il est synonyme d'obscurité, d'exil dans sa gradation la plus extrême. C'est ce qu'ils appellent ghorba qui signifie l'état d'un être contraint à quitter sa patrie pour vivre dans un endroit lointain qu'il refuse ou conteste, là où il ne trouve ni tranquillité ni bonheur. C'est comme s'il était non seulement exclu de sa patrie, mais rejeté hors de la vie. Le voilà donc si proche des ténèbres de la tombe. C'est pour cette raison que les Arabes de jadis ont toujours manifesté un certain rejet de l'Occident. Durant les conquêtes islamiques, les musulmans se sont accaparé une grande partie territoriale de l'Orient, mais ils se sont abstenus d'avancer vers l'Occident. Et même quand ils l'ont fait, ils se sont arrêtés en Andalousie et en Sicile, deux régions qui leur rappellent leurs pays. La raison n'était pas seulement militaire, mais psychique, les musulmans avaient tout simplement peur d'être engloutis par cette obscurité où, chaque jour, le soleil semble se noyer graduellement…
Et même quand les musulmans ont pu étendre leur pouvoir de domination sur de vastes territoires, ce sentiment de rejet de l'Occident est demeuré le même. Les grands voyageurs et aventuriers, qui sont arrivés jusqu'aux confins de la Chine et dans la brousse de l'Afrique noire, n'étaient en aucun cas attirés par cet Occident.
Chez les mystiques, les philosophes ou même les poètes, l'Occident est demeuré synonyme d'obscurité, d'exil (ghorba). Et voilà que le grand soufi Ibn Arabi quitte l'Andalousie pour Marrakech. Là, il voit dans un rêve le trône de Dieu, et entend une voix qui le conseille de continuer son voyage vers l'Orient lumineux. Il y part pour ne plus revenir et sera enterré à Damas… Ibn Khaldoun, qui avait passé une grande partie de sa vie entre l'Andalousie et le Maghreb, sentant que la décadence est imminente, décida de se diriger vers l'Orient à la recherche d'un remède pour les maux de l'Islam et des musulmans. Mais il mourra au Caire en 1406 après avoir senti l'effritement et la mort d'une culture et d'une civilisation qu'il avait tant aimées.
Parmi tous les livres de voyage arabes, on ne trouve qu'un seul relatant un voyage en Occident, précisément en Russie, et qui s'est effectué en 921. L'auteur s'appelle Ibn Fadhlan, un juge à Bagdad envoyé, par l'émir des croyants Al Moqtadar Billah, à un roi de Russie qui avait demandé d'être initié à l'Islam. Ibn Fadhlan nous décrit cet ardu et long voyage avec une précision fort étonnante, présentant une image sombre et effrayante des régions qu'il avait traversées avec sa caravane. L'obscurité est presque totale. Le froid est si glacial que souvent sa barbe se congèle à tel point qu'elle devient dure comme une pierre. Et plus il s'éloigne vers l'Occident, plus sa sensation de perdition et de mort s'intensifie, Ibn Fadhlan ne cesse de nous rappeler qu'il est dans le pays des infidèles, et qu'il y est resté malgré les dures épreuves qu'il avait affrontées, étant profondément attaché aux grandes valeurs de l'Islam, il implore Dieu afin qu'il apaise la misère de ces gens qu'il voyait.
Après la destruction de Bagdad par les Mongoles en 1258, les Arabes avaient vécu de longs siècles dans un isolement quasi total. Ils ne se sont réveillés qu'aux moments des grondements des canons de Bonaparte lors de sa grande et fameuse conquête de l'Egypte en 1798. Les premiers groupes d'étudiants arabes partis pour l'Europe deux décennies après cette conquête et qui étaient les pionniers de ce grand mouvement que les Arabes appellent «la Nahdha» (renaissance), n'ont pas accouché d'une seule œuvre de fiction sur ce «voyage occidental».
Le livre de l'Egyptien Rafaât Tantawi, où il décrit son séjour à Paris, écrit à l'époque de Baudelaire et de Flaubert, paraît, et dans sa langue et dans son style, proche des «Maqamat» des époques de la décadence arabe. Dans ce livre, Paris est décrite comme une de ces villes magnifiques dans les vieux contes orientaux. Elle est totalement différente de la ville dont Baudelaire, Balzac et d'autres avaient mis à nu : la férocité, les vices et les corruptions. Il a fallu attendre le XXe siècle pour que le voyage arabe vers l'Occident enfante les premières œuvres de fiction. Parmi ces œuvres, on peut citer «Un oiseau de l'Orient» de l'Egyptien Tawfik Al Hakim, «Le quartier latin» du Libanais Souheil Idriss, «Adib» de l'Egyptien Taha Hussein et «Voyage de l'émigration vers le Nord» du Soudanais Tayeb Salih.
Dans ces quatres œuvres romanesques, on sent le rejet de l'Occident qui a caractérisé l'écriture des Arabes anciens.
Après la fascination, l'Occident redevient chez l'intellectuel arabe synonyme d'obscurité, d'exil (ghorba), dans ses degrés les plus extrêmes. Le voilà de nouveau une citadelle froide, effrayante, où l'homme oriental perd sa raison, son équilibre et même son humanité. Cela se manifeste plus nettement dans «Adib» de Taha Hussein et dans «Voyage de l'émigration vers le Nord» de Tayeb Salih.
En effet, nombreux sont les points communs entre «Adib», le protagoniste du roman de Hussein, et «Mustapha Saïd», le personnage du roman de Salih. Tous les deux manifestent, à un âge très précoce, le désir de partir pour l'Occident. Intelligents et doués, ils jouissent tous les deux d'une forte capacité d'assimilation de la culture de l'autre. Tous les deux réussissent très rapidement à s'identifier à l'Occident. Arrivés à Paris et à Londres, ils se plongent dans une vie de débauche très agitée qui les conduit à une fin tragique : «Adib» sombre dans la folie, alors que «Mustapha Saïd» se suicide dans le Nil.
Mais il faut signaler qu'il y a aussi des différences entre Adib et Mustapha Saïd. Dès le début, le premier se présente comme un personnage rebelle et révolté contre les traditions et surtout contre «Al Azhar» où il étudiait. Il ne cesse de se moquer ouvertement de ses cheikhs et de leurs grosses têtes entourées de turbans, ainsi que des programmes d'enseignement.
Pour cette raison il décide de partir en Europe. Le voilà donc en bateau pour la France après avoir divorcé — non par étouffement ou ennui — mais parce qu'il sait fort bien à travers les livres qu'il avait lus qu'il «ne peut pas rester là-bas fidèle à sa femme».
Il sait aussi qu'une vie de débauche l'attend et il doit assumer tout seul ses conséquences.
Avant d'arriver à Marseille, Adib est pris de panique. Une violente nostalgie s'empare de lui à tel point qu'on a l'impression qu'il ne va plus achever son voyage. Il essaie d'imaginer le pays où il a choisi d'y aller, mais c'est l'image de son pays (l'Egypte) qui le hante. Il s'efforce d'imaginer sa vie d'étudiant à la Sorbonne, mais c'est plutôt sa vie à l'université «Al Azhar» qui prédomine. Même la femme parisienne se manifeste semblable à sa femme répudiée. Alors que le bateau s'approche de Marseille, la vie européenne lui semble comme «une mer agitée»… où le désir et la douleur, le bien et le mal s'entremêlent. Sentant que l'échec l'attend là-bas, son pessimisme et sa panique deviennent de plus en plus insupportables. Mais tout cela se dissipe après le premier verre de vin, pris dans un bistrot à Marseille. Et le voilà sentir qu'il «devient un être humain capable de raisonner, de jouir de la beauté de la vie et des femmes aussi». Maintenant il ne peut «ni reculer ni s'arrêter».
Après une période de vie intense, Adib est de nouveau enthousiasmé pour le savoir. En très peu de temps, il arrive à réaliser certains de ses objectifs les plus importants dans le domaine de la culture et de la connaissance. Mais sa soif pour les plaisirs de la vie ne tarde pas à s'emparer de lui encore une fois. Dans une lettre adressée à un ami, il écrit : «Musset avait raison quand il compare le cœur de l'être humain pur à un récipient profond où si le péché gagne son fond, on ne peut pas le purifier même usant de toutes les eaux des mers du monde. Mon cœur est ce récipient où le péché s'y est infiltré. J'ai essayé de le purifier, mais j'ai toujours échoué».
Adib passe le dur hiver de 1917 à Paris. Les gens souffrent de froid, de famine et des premiers bombardements. Il refuse de quitter la ville qu'il aime follement et se prend pour le grand défenseur des principes de la civilisation. A un ami, il écrit : «Je resterai à Paris même si j'y meurs, car j'adore cette ville et je désire y vivre jusqu'au bout». En ces temps durs, il tombe amoureux d'une certaine Hélène. Mais l'échec de son histoire d'amour le rend paranoïaque. Maintenant, il se sent attaqué par tout le monde, croyant qu'il est la cible de toutes les attaques. A la fin, il sombre dans la folie…
Mustapha Saïd, protagoniste de «La saison de l'émigration vers le Nord», débarque à Londres alors qu'il n'avait pas 20 ans. Contrairement à Adib, il se détourne complètement de son passé. Comme une «flèche», il part toujours de l'avant sans regret et sans aucune nostalgie. Londres vit une époque difficile. La Première Guerre mondiale vient de prendre fin. Mais Mustapha Saïd se jette corps et âme dans les plaisirs de sa nouvelle vie. Il fréquente les bars chics de «Chelsea» et les clubs de «Hampstead».
Il lit les poètes anglais, parle des religions, de la philosophie, de l'art, ainsi que de la spiritualité orientale, n'ayant pour objectif que d'amener chaque nuit une femme dans son lit. Toutes ses victimes sont des femmes amoureuses de l'Orient, de ses climats tropicaux, de ses soleils ardents, et de ses horizons couleur de rose. Mais Mustapha Saïd c'est aussi «Le Sud attiré par le Nord et le froid». L'Orient est pour lui une chambre embaumée de santal et d'encens, un lit bourré de coussins de plumes d'autruche, un bain oriental comme dans Les Mille et une nuits…
Malgré cette vie de débauche, Mustapha Saïd arrive à obtenir les meilleurs diplômes des universités britanniques.
Il devient ainsi une personnalité très respectée et très distinguée. Ses victimes deviennent de plus en plus nombreuses, trois d'entre elles se suicident à cause de lui. La troisième, Jane Morris, s'est préservée à le faire souffrir jusqu'à le pousser à perdre tout contrôle de soi. Par une nuit froide, il lui enfonce un couteau dans la poitrine, alors qu'elle crie : «Je t'aime, mon amour!».
Après des années passées en prison pour cet horrible crime, Mustapha Saïd revient au Soudan pour y vivre sans identité dans un petit village sur le Nil. Pour enterrer son passé et éloigner les spectres de ses mésaventures occidentales, il se déguise en simple paysan et se marie avec une femme analphabète. Mais son passé ne cesse de le hanter. Et un jour, il se jette dans le Nil, mettant fin à sa vie…


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