Par Talel CHERIF* C'est avec une grande amertume que je m'engage sur ces colonnes, surtout après avoir visualisé la séquence vidéo de l'émission de Nessma qui nous a décrit de la pire des manières. A-t-on mérité ce déluge de haine, de mépris et d'intox ? En lisant les différents commentaires sur Facebook et quelques forums de la Toile, j'ai eu le sentiment qu'une caricature de l'Atugéen moyen est partagée par bon nombre de mes concitoyens : c'est un être imbu de sa personne, hautain, issu d'un milieu bourgeois, avide de pouvoir, opportuniste, avec peu d'expérience dans la vie, en totale déconnexion des réalités de son pays, tête de pont du capitalisme sauvage dans notre pays,… On est loin des principes qui ont poussé une poignée d'étudiants, il y a plus de 20ans, à se rassembler en une association d'anciens élèves des prépas et écoles françaises, pour s'entraider dans l'épreuve de l'exil et jeter des ponts avec la patrie à travers l'organisation du forum annuel à Tunis, facilitant ainsi le retour au pays. Au fil des ans, l'association a diversifié ses activités pour un seul but : servir la Tunisie et rien d'autre, ce qui explique son attachement à son «sacro-saint» caractère apolitique pour ne pas être «engloutie» par les structures du RCD et ne pas devenir un organe du pouvoir en place. Les membres de l'Atuge étaient jaloux de leur indépendance et savaient que l'affiliation de leur association au pouvoir signait sa mort car tous ses membres se seraient désengagés. Je peux en attester car je fus membre depuis sa création, secrétaire général puis président de 1995 à 2002, ayant participé à presque tous les débats qui ont animé la vie de l'Atuge sur les choix fondamentaux de notre association. Pour les stéréotypes infondés sur le profil type de l'Atugéen, je peux vous affirmer que nous sommes à l'image de la société tunisienne, nous sommes issus de toutes les franges du peuple et de toutes les régions. Pour ma part, je suis originaire de Gafsa, mes parents sont instituteurs et ma famille a toujours résisté à la tyrannie et l'a payé de son sang ; je dirige un bureau d'études qui emploie 5 techniciens et un ingénieur et exporte ses services à l'étranger et je ne suis pas une exception. J'ai côtoyé durant ces années des Atugéens de tous les âges et de toutes les régions, tous sont fiers de servir leur pays et ils pourront le faire d'autant plus sereinement que leurs actions ne seront plus considérées comme une consolidation des dictatures, nos actions avaient pour but de contribuer à élever le débat des acteurs économiques et des décideurs institutionnels à un niveau qui permette d'éclairer la classe dirigeante et les futurs cadres sur les défis qui guettent et les opportunités qui s'offrent au pays ; nous avons participé activement à travers nos adhérents et les anciens des grandes écoles à la consolidation des acquis de la Tunisie nouvelle, et ce, depuis l'indépendance. Feu si Mokhtar Laâtiri qui a parrainé notre association depuis ses débuts a, parmi d'autres, voué sa vie à sa patrie en la servant dans tous les postes qu'il a occupés durant sa longue et brillante carrière. Ma conception du rôle des diplômés des Grandes Ecoles est de servir notre pays indépendamment des luttes partisanes et des différences idéologiques entre tous nos membres et le pouvoir en place, ce que partage la majorité des atugéens. Nous sommes au service de l'Etat qui nous a formés et permis, grâce à des bourses payées des deniers du peuple, de poursuivre nos études dans les plus prestigieuses des institutions françaises. C'est dans cet esprit que nos camarades ont répondu à l'appel du gouvernement provisoire, tels des soldats prêts à en découdre pour sortir leur pays du chaos. Cependant, j'avoue que la forme n'y était pas avec l'intervention de personnes étrangères à notre association, et que je n'estime pas très recommandables vu leurs liens très forts avec le dictateur déchu, ayant facilité leur accession à leurs postes. Cette situation a jeté le discrédit sur l'Atuge et ses membres connus pour leur compétence et que nous jalouseraient les plus développées des nations. Ceux que je connais parmi les membres atugéens du gouvernement, à la tête desquels Elyès Jouini, m'inspirent confiance vu les qualités morales qui les caractérisent et le don de soi dont ils ont fait preuve depuis que je les ai connus. Toutefois, je conviens que le pouvoir peut faire tourner des têtes, même bien faites, et que la vigilance est de rigueur. Pour ceux qui doutent de la «tunisianité» de nos camarades, parce que ne maîtrisant pas l'arabe ou ayant la double nationalité, qu'ils réitèrent leurs doutes aux centaines de milliers de nos concitoyens qui rentrent chaque année pour renouer avec la patrie. N'ont-ils pas le droit de prendre part à l'essor de la Tunisie s'ils sont plus compétents que les autres ? Cette double culture et cette ouverture sur l'Occident ne permettront-elles pas une meilleure approche des bailleurs de fonds et des investisseurs étrangers qui visitent notre pays à tour de bras en cette période critique ? Le tort des Atugéens, surtout en ce moment, est de ne pas communiquer et c'est ce qui a conféré une certaine opacité à notre image; cette politique était entretenue, à mon avis, pour deux raisons principales : ne pas s'exposer et permettre ainsi à des forces occultes, pendant l'ère Ben Ali, de s'immiscer dans les affaires internes de l'association, d'une part, et l'arrogance de certains à ne pas «descendre» au niveau d'une certaine presse «indigne» et être au-dessus des débats malintentionnés, d'autre part. Je m'étais indigné auprès des présidents de l'Atuge-Tunisie et Atuge-France du silence assourdissant des ingénieurs tunisiens en général et des Atugéens en particulier sur les évènements qui ont secoué le pays alors que les autres corps de métier ont participé, plus ou moins activement, à la libération du pays du joug de la dictature, et je leur ai proposé d'envoyer un communiqué écrit en arabe aux organes de presse pour apporter notre soutien à la révolution et prévenir le futur gouvernement contre toute politique d'exclusion génératrice de tensions et d'extrémisme ; il n'en fut rien, peut être à cause du caractère « politique » du communiqué et l'Atuge a finalement sorti, quelques jours après, un communiqué où elle soutient la révolution et détaille les actions programmées, en France et en Tunisie. Maintenant, avec la libération de la parole, l'association s'est trouvée dépassée par le flot incessant d'informations et de désinformations qui l'ont poussée au-devant de la scène avec la nomination des ministres atugéens, et elle ne peut plus se prévaloir du caractère apolitique de son action pour se dérober à la clarification de ses positions auprès du paysage politico-médiatique; la politique de l'autruche ne mène nulle part. Je réitère ma position à savoir que l'Atuge et les ingénieurs des Grandes Ecoles se tiennent à la disposition des décideurs politiques et a fortiori s'ils sont élus démocratiquement par le peuple, pour servir leur patrie et accomplir la mission pour laquelle ils ont été formés sans rien attendre en retour. * Ancien président de l'Atuge