Je crois que la révolution tunisienne sera bénéfique pour Omar Bey, plasticien remarquable, préoccupé avant tout de ne pas se laisser enfermer dans le carcan du style pour faire Beau, explorant en permanence de nouvelles voies, créatives et singulières. Son état d'esprit est issu de celui du groupe «El Teatro - Aire Libre» fondé par Mahmoud Chelbi alias Mach. Un groupe qui a toujours navigué à contre-courant de l'art officiel et de l'ombrage qu'il a fait sur les valeurs sûres, ainsi que sa mainmise sur le petit marché de l'art, sans cote et sans réglementation d'aucune sorte quant au droit social et fiscal des artistes tunisiens. Durant des années, Omar Bey aura contribué — surtout à travers des expositions de groupes — à rehausser le discours sur l'art issu plutôt de l'Ecole de la rue (où l'on se bat) que celle des Beaux-arts où l'on n'apprend plus rien. Cette démarche assez discrète en expositions plutôt collectives a ainsi fortifié son art de plus en plus spectaculaire, côtoyant les performances et les actions painting de son groupe (passage à l'acte sur les voitures calcinées, durant la révolte), au point de générer des développements thématiques directement inspirés par l'actualité sociale et politique et ses travers de l'ancien régime. Ou bien de son propre imaginaire : un univers loufoque où se côtoient la gent animale et humaine dans le plus pur enchantement des contes d'un Lewis Carroll. Un regard prémonitoire Artiste, réinventeur du réel, une révolution du regard prémonitoire de la révolution tunisienne, Omar Bey nous offre aujourd'hui une exposition personnelle à la galerie Kanvas où sont réunies des œuvres majeures, œuvres de circonstance liées par leurs thématiques, au départ de Ben Ali et de son clan et à la liberté d'un peuple enfin «dégagé» d'un traumatisme qui n'avait que trop duré. Peintre, sculpteur, surtout fresquiste, l'artiste utilise divers matériaux pour son passage à l'acte : le bois comme support, le ciment blanc, les carreaux de céramique dans la découpe, le verre, le plastique, les teintes. Ses œuvres monumentales s'offrent en 3D, comme, tout à la fois, des peintures-gravures-sculptures. Des œuvres toujours pleines de «colères», ou d'humour selon les thèmes abordés. A l'espace Kanvas, on trouve aussi d'autres éléments, tels que le polyster, la perruque, le cheche, la paire de Ray Ban (pour le buste momifié de Khadafi); une plaque de gazon artificiel avec «Un de la révolution» au repos avec son «Dégage»; des bris d'un vrai plexi de la grosse bagnole d'un Ben Ali en fuite et du bon peuple à ses trousses… Puis, d'autres fresques de «dégagements rêvés» pour reprendre la formule rimbaldienne. Omar Bey accumule ainsi les idées majeures de la révolution tunisienne grâce à des matériaux les plus divers, renouvelant ainsi de fond en comble la réflexion sur l'art, comme appropriation des choses de l'environnement immédiat. Ses œuvres ne manquent pas de poésie sous l'angle même de la réinvention perpétuelle du réel. Qui nous provoque, nous attendrit, tout à la fois.