• Lors de sa sortie en Tunisie, cet ouvrage n'a pas fait l'objet d'une critique, étant donné l'interdit qui frappait le personnage de Bourguiba • Certes, l'histoire en politique, n'est jamais définitivement écrite. Mieux : en politique, il n'y a pas de jugement absolu. C'est donc sans esprit polémique que j'ai écrit ces pages. Sur l'essentiel, à savoir le sens d'un engagement et la rectitude d'un itinéraire, j'ai essayé de restituer avec le maximum de fidélité les étapes qui ont jalonné ma vie de militant au service de la politique et du développement de mon pays.» (M. Mzali) C'est en disciple et compagnon de Bourguiba pendant près de cinquante ans que Mzali a tenté d'esquisser quelques traits de sa personnalité immense, de son génie politique, sans pour autant prétendre cerner le sujet. Car il est difficile à quiconque de décrypter le personnage entré dans l'histoire des Grands du XXe siècle si tourmenté et si riche en événements et en avancées, surtout en matière de décolonisation et de prise de décisions courageuses et audacieuses pour l'époque, CSP et planning familial, entre autres. Mais l'on demeure fermement convaincu que nul ne peut et ne pourra effacer la trace de Bourguiba en Tunisie et qui s'y essaierait s'y épuiserait. Le seul tort qu'on pourrait lui reprocher est qu'il n'a pas tiré sa révérence alors que sa gloire était au zénith. Il n'a pas compris que l'âge émousse la combativité, développe l'infatuation, réduit la capacité d'écoute, persuade que les autres sont des incapables et qu'on est en définitive irremplaçable. Bourguiba, dans la plénitude de ses facultés physiques et intellectuelles, a gagné toutes les batailles‑; en fin de parcours, il a perdu une seule : celle du vieillissement et de la maladie. Seraient bien sages de s'inspirer de sa vie et de sa mort, ceux qui se croient aujourd'hui immortels. Le naufrage de son règne a débuté avec la conspiration machiavélique dont Mzali a été la victime. La cabale montée par la nouvelle garde rapprochée du Président avec, à sa tête sa nièce Saïda Sassi, a réussi à éloigner Bourguiba Jr, Allala Laouiti, le confident intime et exemple même de la fidélité, son épouse, Wassila Ben Ammar et enfin Mohamed Mzali. Accusé d'immobilisme et de corruption, Mzali risque d'être pendu et de connaître le même sort que Zulfikar Bhutto. Ce limogeage sonne le glas pour le vieil homme de plus en plus seul et livré aux influences négatives de sa nièce et de ses compagnons. Craignant pour son intégrité physique, Mzali songe à se soustraire à la justice. Avec la complicité d'un ancien compagnon de route et sans en parler à quiconque de sa famille, il décide de prendre la fuite en traversant illégalement la frontière algérienne. L'ancien Premier ministre raconte avec une remarquable inquiétude de conscience et beaucoup de délicatesse morale les douloureuses péripéties de son évasion. Au péril de sa vie et après moult aventure, il se retrouve enfin en Algérie où il est accueilli avec tous les honneurs dus à son rang. C'était le 2 septembre 1986. Quatre jours après, il se retrouve à bord d'un avion d'Air Algérie en partance pour Genève. Son exil en Europe allait durer seize ans, jurant ne jamais remettre les pieds en Tunisie tant que ne sera pas cassé sans renvoi le procès inique qui lui fut fait en avril 1987 ainsi que les poursuites vexantes et insidieuses intentées contre les siens, restés en Tunisie. Mais pourquoi ces mémoires, dirons-nous? Après son exil forcé et en son absence, il y eut un tel déluge d'inexactitudes, d'accusations fallacieuses et de contre-vérités patentes qu'il était juste de réfuter et de rétablir ainsi certaines vérités dûment attestées. L'essentiel, ainsi qu'il le souligne, est dans la sincérité mise à rassembler les instants épars de la mémoire pour restituer l'itinéraire d'un patriote et d'un militant qui, après avoir contribué à l'indépendance de son pays, s'est engagé, à divers postes de responsabilités, à assurer son développement et à lutter pour l'avènement d'une démocratie ouverte sur les exigences du temps présent. Ces mémoires, ou ce témoignage du Premier ministre de Bourguiba, sont comme l'aboutissement ou, mieux encore, le sémaphore qui indique à celui qui sait le déchiffrer, les raisons de continuer à espérer, malgré tous les récifs de la vie et les incertitudes de la condition humaine. En disciple de Bourguiba, Mzali a cru en la vertu de la parole qui, sincère et claire, responsabilise, transforme, convainc et pousse à l'action. Il partageait les paroles profondes et vraies du grand leader algérien Farhat Abbas qui écrivait dans son livre L'indépendance confisquée : «C'est grâce à la liberté de parole que notre peuple a pu se former politiquement et à s'armer moralement, et qu'il est monté, enfin, à l'assaut de la forteresse coloniale et de ses injustices. La parole a ses miracles. Notre Prophète l'a confirmé : ‘‘J'ai été envoyé avec l'épée et le Verbe, et j'ai constaté que le Verbe était plus tranchant que l'épée. Le Verbe c'est l'étincelle d'où jaillissent la Lumière et la Vérité. La parole porte en elle des forces insondables. Sans liberté de parole, un peuple ne vit pas''». Une profonde réflexion qui mérite méditation. * Un Premier ministre de Bourguiba témoigne, de Mohamed Mzali - Sud Editions. Tunis 2010