Par Mohamed BARKET (Cadre de banque) Après deux longues décennies de pouvoir absolu, que reste-t-il du RCD, héritier dénaturé du PSD ? Que reste-t-il de ses idéaux, de ses dirigeants, de ses quadras et de ses militants ? Le 9 mars 2011, le couperet de la justice est tombé net ; on a eu l'impression que ce parti n'a jamais existé, laminé par une volonté populaire sans égal. Du coup, les apparatchiks du RCD, divisés et désemparés, sont devenus des "persona non grata", poursuivis par la justice de leur pays et déchus de certains de leurs droits civiques en vertu de l'article 15 du projet de décret-loi relatif à l'élection de la Constituante, adopté par l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Une condamnation sans appel pour tous ceux qui ont approché de prés et même de loin Ben Ali et consorts pendant leurs 23 ans de règne sans partage. Suite à ce projet de décret-loi, non-encore approuvé par le gouvernement provisoire, à l'heure où nous écrivons, des milliers de "Rcédistes" se trouvent donc logés, tous azimuts, à la même enseigne. Ceux qui ont servi loyalement leur pays sous les couleurs du PSD d'abord, ensuite sous celles du RCD, comme ceux qui, en cours de route ont claqué la porte au nez de Ben Ali pour chercher une autre voie, se trouvent donc écartés du projet de reconstruction du pays et de ses institutions, au même titre que ceux qui ont instrumentalisé le RCD pour servir leurs propres intérêts et assouvir leur soif de pouvoir .Ce sont les nouveaux "parias" de la République. Pourquoi cet amalgame ? Pourquoi mettre dans le même panier et sans distinction aucune tous ceux qui, un jour ou l'autre, ont eu la malheureuse idée de porter l'étiquette RCD ? Sans revenir sur les circonstances houleuses et les débordements qui ont accompagné la création de l'Instance, sa composition et ses travaux, le moins que l'on puisse dire est que la montagne a accouché, dans la précipitation et la hâte, d'une souris. Je qualifierai le projet de décret-loi pré-adopté de "loi scélérate" qui nous rappelle quelque peu l'anarchie ambiante de la 3e République française. Le gouvernement provisoire confirmera-t-il une telle option quitte à contredire son propre chef qui, hier encore appelait à ne pas faire la chasse aux sorcières ? Nombreux sont ceux qui se sont indignés de cette exclusion gratuite de loyaux militants qui ont contribué à la construction de l'Etat tunisien, à travers un militantisme de conviction, dénué de toute velléité politicienne. L'indignation est d'autant plus grande que les faits qui leur sont reprochés ne sont pas avérés; la présomption d'innocence a été occultée et les principes généraux de droit, qu'on a bien voulu nous enseigner, ont été bafoués. Si mes souvenirs d'étudiant en droit ne me trahissent pas, je crois savoir que seule la justice est en mesure de prononcer l'inéligibilité d'un citoyen. On aura beau nous sortir l'argutie des "circonstances exceptionnelles" donnant à l'autorité publique des pouvoirs exorbitants, que les décrets-lois ne sont passibles d'aucun recours, mais ceci n'explique pas toujours cela. L'argument de la rupture définitive avec le passé ne tient pas la route non plus; l'histoire est pleine d'enseignements sur l'égarement des peuples qui ont voulu rompre avec leur histoire et effacer leur mémoire collective. De telles mesures viennent en violation de l'esprit de la révolution que ladite instance est censée protéger; elles ne font qu'attiser le feu et développer un sentiment de haine entre Tunisiens, alors que le pays, aujourd'hui fragilisé, a le plus besoin de sécurité et de paix sociale. Sans remettre en question les compétences du professeur Ben Achour et des experts qui l'entourent , on soulignera toutefois que la crème de nos "constitutionnalistes" n'ont pas été associés à l'instance. Pourtant, leur expertise, leur savoir-faire et leur expérience auraient été d'un apport précieux aux travaux de l'instance. Tout au contraire, et fait inexplicable, on leur a préféré des apprentis-sorciers de la politique ainsi que des représentants de partis politiques qui, jusqu'à une date récente, faisaient l' éloge de Ben Ali et de son pouvoir et dont les dirigeants, si l'on s'en tient à la logique de l'art. 15 précité, doivent subir le même sort que les cadres du RCD. L'état d'esprit dans lequel a été élaboré et voté le projet du premier texte fondateur de la IIe République tunisienne est le moins qu'on puisse dire contestable. L'exclusion est un acte anti-démocratique qui ne favorise pas la transition démocratique. Ce n'est pas la Tunisie de l'exclusion et de la discrimination que nous voulons, mais celle de la réconciliation, de la tolérance et de l'union sacrée de tous ses enfants autour d'un objectif commun : bâtir un meilleur avenir pour les générations futures.