Entre théâtre et chant, la salle du 4e Art a accueilli vendredi dernier le spectacle de clôture de la première édition du Festival du théâtre libre, qui s'est déroulé du 24 au 29 avril. Il était organisé à l'initiative d'une génération de metteurs en scène et comédiens qui disent ne pas avoir attendu le 14 janvier pour s'exprimer à travers des œuvres non conformistes. Ces dernières diffèrent par leurs approches artistiques tout en portant un même drapeau, celui d'un théâtre libre de toute attache réductrice, qu'elle soit politique ou autre. La manifestation a d'ailleurs su capter l'attention du ministre de la Culture, M. Azzedine Beschaouch, qui a été présent lors de cette soirée pour rendre hommage aux participants. Le rideau de cette première édition s'est levé une dernière fois, pour la présentation de la pièce Sous le signe du dinosaure d'Abdelwahab Jemli. Les protagonistes, Youssef et Jaâfar, campés respectivement par Abdelmonêm Chwayat et Taoufik Ayeb, se partagent une chambre dans un centre pour non-voyants. Deux personnages que tout sépare, à commencer par le noir. Quand Youssef décide de rompre le silence, le passage à la parole ne va pas sans confrontation avec son binôme. Les deux se livrent tantôt à des moments de sincère solidarité, tantôt à des conflits profonds. Le tout est rythmé par les mouvements bruyants de l'étrange habitant de l'étage au-dessus, auquel ils donnent le nom de "dinosaure". Le spectateur, placé même sur scène, découvre entre les lignes d'un texte riche en références historiques, politiques et anthropologiques, deux hommes à l'image d'une société aveuglée, dont la force apparente cache une grande faiblesse et inversement. Sous le signe du dinosaure est une œuvre sérieuse, qui tend un miroir à cette société désormais en mutation, et incite à la réflexion. Elle marque aussi la rupture du silence que les artistes doivent s'approprier sous de nouvelles formes, plus innovatrices, peut-être autres que celles du recours au symbolisme, à défaut de pouvoir pointer directement du doigt les problèmes. Cette liberté acquise que prônent les membres du collectif du festival en question ouvre sur le thème de la responsabilité qui repose sur les épaules de tous les artistes tunisiens afin de traduire l'art dans la liberté et la liberté dans l'art. Dans ce sens, le choix de Zouhair Gouja et sa troupe Yinna pour assurer la deuxième partie de la soirée de clôture est éloquent. Fraîchement constitué, ce groupe est l'auteur d'un projet musical qui cultive la proximité avec le public, tunisien et même maghrébin. Il puise dans le patrimoine musical commun de cette région, notamment le Sahara, pour proposer une "pratique de la musique traditionnelle" plutôt qu'une "pratique traditionnelle de la musique", comme l'affirment ses membres. Zouhair Gouja est accompagné de Mahdi Chakroun et Salah Ouerghi pour la musique, ainsi que par les voix féminines de Raoudha Ben Abdallah, Nawel Ben Salah et Lobna Noomene. Les instruments utilisés vont de l'accordéon et de la guitare au gombri, wtar, gasba et différentes percussions traditionnelles. De quoi installer une ambiance éclectique dans la salle. Le public a été autant ravi d'entendre des chants du patrimoine stambali que celui de la région du Nord avec des titres comme Hezzi Heremek et Bin el wedyen, revisités avec des arrangements à la rencontre des spécificités musicales du Nord et du Sud. La découverte était aussi au programme avec des textes de satire sociale propres aux groupes, notamment Talvza et Mounefek, accompagnés de deux chansons à caractère patriotique : une sur le 14 janvier et une adaptation musicale du poème Nouhibou al bilada, de Sghaier Ouled Ahmed. Au total, une douzaine de chansons pour un concert de qualité. La soirée de clôture du Festival du théâtre libre est venue éclaircir le ciel d'une journée marquée par le retour du gaz lacrymogène sur l'avenue Habib-Bourguiba et des flux d'informations et de désinformations sur les confrontations à la frontière tuniso-libyenne. Une vraie thérapie musico-théâtrale, quand le cœur y est !