En ces temps difficiles, où règnent les inquiétudes et les incertitudes, il est bon de voir que l'on continue à se préoccuper de culture, de patrimoine et d'art. Car on a beau savoir qu'un peuple sans culture est un peuple sans civilisation, et que celui qui oublie son passé n'a pas d'avenir, le bruit et la fureur de ces derniers mois auraient pu nous faire craindre de voir privilégier d'autres priorités. La culture en est une, essentielle et vitale. M Azedine Beschaouch, ministre de la Culture, qui a bien voulu nous accorder cet entretien, le sait mieux que personne. Comme dans de nombreux autres secteurs, l'un de vos principaux problèmes, si ce n'est le premier, demeure l'emploi. Nous menons actuellement une réflexion sur la formation aux métiers de la culture et sur la nécessaire adéquation entre cette formation et les besoins. Car s'il y a des besoins réels pour certains métiers, nous n'avons pas toujours la formation nécessaire. Il nous faut, désormais, penser en marché du travail. Nous ne sommes pas l'Europe, nous sommes une économie en voie de consolidation et nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir des diplômés chômeurs. Or, nous comptons, aujourd'hui, près de 1.500 diplômés chômeurs, essentiellement dans les techniques du patrimoine, mais aussi dans le domaine de l'animation culturelle, dans le théâtre et le cinéma. Même si nous avions les moyens financiers de le faire, ce qui n'est pas le cas, nous ne pourrions, du point de vue équilibre du ministère et de la fonction publique, recruter 1.500 nouveaux fonctionnaires. Il nous faut donc mener cette réflexion avec les centres et les instituts avant de prendre les décisions adéquates, d'ici le mois de juillet, mieux répartir les places, les cibler et faire que la formation soit plus technique . Pour prendre l'exemple des métiers du patrimoine, il faudrait développer un métier assez difficile : celui de la restauration. Restauration de peinture, d'objets d'art, de boiseries, de textiles. Ce sont des domaines porteurs d'emplois pérennes, pour lesquels il existe une demande aussi bien publique que privée. Autre métier pour lequel il existe une demande et pour lequel il y a carence de formation : la muséographie. Il n'y a pas, actuellement, suffisamment de muséographes et de techniciens des musées, en matière d'éclairage, de scénographie….Tous des domaines qui créent des emplois importants pour la mise en valeur des musées. Vous avez engagé une action d'envergure, conjointement avec le ministère du Tourisme, pour la relance du tourisme culturel. Nous achevons l'élaboration d'une série de projets communs pour la relance de cette forme de tourisme, dont les effets collatéraux sont d'une extrême importance pour l'avenir immédiat. Cela permet d'assurer des emplois aux diplômés chômeurs et de contribuer au développement régional. Ces projets concernent trois grandes régions : celle du Kef et sa ville historique avec ses monuments, sa Kasbah, ses deux basiliques, ses deux grands thermes. El Mdeina, ville punique et romaine où l'on trouve un forum, et un remarquable théâtre. Hammam Mallègue, et son magnifique bain romain. La fameuse Table de Jughurta. Ensuite la région de Siliana : Makthar, l'ancienne ville numide et romaine de Maktaris. Jema, l'ancienne Zama, et El Krib, l'ancienne Mustis. Enfin, la région de Kasserine, Sbeïtla qui concentre une remarquable collection de monuments romains et chrétiens. Cilium, l'ancienne cité romaine où subsistent un arc de triomphe et un théâtre. Thala avec sa citadelle et sa basilique. Hydra, enfin, avec son extraordinaire citadelle byzantine et médiévale, ses très nombreuses basiliques chrétiennes, et ses monuments à auges. Sans oublier Sbiba où subsistent les vestiges d'une basilique, et ceux d'une mosquée médiévale. Dans ces trois régions, vont être lancés de grands projets de mise en valeur pour des circuits touristiques qui associeront l'activité de l'Etat (restauration, aménagement de l'infrastructure, signalétique, formation de guides) à celle de l'initiative privée (centres d'accueil, gites d'étapes, motels, buvettes, boutiques d'artisanat). Ceux-ci pourront bénéficier de crédits d'Etat dégrevés d'impôts. L'élaboration des projets concernant ces trois pôles sont en cours d'achèvement, et les travaux pourront démarrer dès le mois de juin, avec un financement des ministères de la Culture et du Tourisme. Projets qui, nous le précisons , sont créateurs d'emplois publics et privés Vous parliez d'autres effets collatéraux de ces grands projets. Quels seraient-ils ? C'est évident : pour ne prendre que l'exemple du gouvernorat de Kasserine, on trouve trois théâtres romains. Celui de Sbeïtla, de Kasserine et de Hydra. Avec la mise en valeur et les aménagements prévus, ces théâtres pourront être animés par une activité théâtrale moderne : festivals, tournées de spectacles. Cela contribuera à faire travailler les troupes artistiques, et à créer une animation culturelle dans la région. Outre, bien évidemment, toutes les activités annexes que crée un festival : buvettes, sandwicheries…. Le 18 mai sera la journée mondiale des musées. Pouvez-vous nous parler de la contribution privée à l'enrichissement de notre patrimoine ? J'ai là, sur mon bureau, un exemple d'actualité tout à fait remarquable. Un citoyen amoureux de l'art, qui, voulant contribuer au développement de son pays, nous a proposé de mettre à la disposition du public et sous contrôle du ministère, sa collection privée de céramiques et poteries tunisiennes. Cette collection, analysée par des experts étrangers et un spécialiste tunisien, le Dr Adnan Louhichi, l'un de nos meilleurs céramologues, est considérée comme une collection unique au monde. Et non seulement, M.Samir Sellami, le collectionneur, se propose de mettre cette collection à la disposition du public, à ses frais, dans un musée de la céramique—ce qui est unique dans les annales de la Tunisie, puisqu'il s'agira d'un dépôt dans un musée du ministère de la Culture—mais en outre, il voudrait contribuer à la restauration et à la mise en valeur du lieu où sera aménagé ce musée de la céramique : la fameuse citadelle hafside, espagnole, puis ottomane, et enfin beylicale, la citadelle de la Goulette appelée communément la Karaka . M.Sellami propose au ministère de la Culture une œuvre de mécénat, c'est-à-dire la prise en charge de tous les frais de restauration de cette forteresse, ce qui représente une somme considérable que le docteur Fathy Bahri, spécialiste del'Institut du patrimoine, est en train d'évaluer. La réalisation de ce projet, auquel le ministère de la Culture a déjà donné son accord, marque un véritable tournant dans la relation entre le public et le privé et dans l'ouverture du monde du patrimoine au mécénat. Pour que l'on ne vous reproche pas de ne nous parler que du patrimoine, quelles sont les dernières mesures que vous avez prises dans la domaine des arts plastiques ? Dans ce domaine, il est important de rappeler que nous avons une des plus belles collections de tableaux en Méditerranée. Tout récemment, un comité d'experts comprenant le directeur du musée de L'Orangerie, et des responsables du musée d'Orsay ainsi que celui du Louvre ont examiné des spécimens de la collection nationale. Ils considèrent que des mesures d'urgence sont à prendre pour la conservation de ces œuvres. Aussi le ministère s'attache-t-il, en ce moment, à élaborer un programme pour l'aménagement , dans la cité de la culture, des locaux du futur musée d'art contemporain, et à donner une priorité aux réserves, ainsi qu'au laboratoire de restauration et de conservation. Cela permettra d'assurer l'inventaire. On s'attachera, en même temps, à préparer la scénographie dans le futur musée, qui ouvrira, nous l'espérons, fin 2012. Par ailleurs, et toujours dans le domaine des arts plastiques, nous nous sommes penchés sur la situation des galeries d'art qui doivent jouer un rôle dans l'animation de la vie artistique tunisienne. Nous n'avons pas encore un grand marché de l'art, et il nous faut rassurer tous ceux qui veulent contribuer à ce que cette activité demeure vivante. Aussi, en faveur de la vie des arts plastiques et graphiques, ai-je demandé à mon collègue, M. le ministre des Finances, la possibilité de prendre une mesure attendue depuis tant d'années par les plasticiens et les galeristes, à savoir supprimer la retenue de 15% sur toute œuvre d'art vendue à l'Etat. Du reste ces 15% pénalisent tout artiste et homme de culture—écrivain, cinéaste, metteur en scène—puisque eux aussi sont obligés de payer 15% chaque fois que l'Etat acquiert une de leurs œuvres. Je peux dire, avec une vive satisfaction, que M. Jalloul Ayed, le ministre des Finances, qui est, rappelons-le, musicien et compositeur, m'a donné son accord de principe pour une telle mesure. Ce sera, espérons-le, une des contributions du gouvernement provisoire au domaine de l'art. Un autre point concerne également les galeries : elles recevaient autrefois une subvention qui leur permettait d'équilibrer leur activité. Celle-ci a été supprimée par un ministre de la Culture, sans que je trouve la moindre trace d'un justificatif. Celle-ci pourrait être restaurée, sous certaines conditions, bien sûr. Il faudrait que les galeristes se constituent en associations, proposent des normes et définissent leurs attentes Pour le mot de la fin : où en sont les préparatifs des festivals d'été ? Les préparatifs vont bon train. Ils se tiendront aux dates prévues. Une commission nationale a été constituée sous la présidence de M. Mokhtar Rassaâ, président de l'Ertt, homme de culture bien connu qui a été le fondateur-initiateur du très réussi festival de la Médina. Cette commission veillera au choix et au suivi des spectacles, sur la base de deux grands critères: -L'innovation, pour la partie tunisienne qui a la priorité -L'ouverture sur le monde arabe et sur l'international. Cela, bien entendu, dans les limites des budgets définis. A ce propos, il est important de préciser que des propositions peuvent être présentées par les entrepreneurs du spectacle, si elles répondent à nos critères.