L'Association Nour, qui se définit comme un «Forum pour une nouvelle République», a organisé, hier, avec la participation de plusieurs partis politiques, dont Ennahdha, une conférence portant sur un thème laborieux, à l'intitulé kilométrique sous prétexte d'être explicite : «Place de la religion dans la Constitution de la nouvelle République. Une Constitution pour tous les Tunisiens quelle que soit leur religion‑? Une Constitution qui garantit l'épanouissement religieux de chaque Tunisien ?». L'Association nouvelle République (Nou-R), qui compte organiser toutes les deux semaines une conférence sur des problématiques constitutionnelles, a démarré ce cycle par la place de la religion dans la nouvelle Constitution qui est appelée à être le fondement d'une 2e République «où tous les citoyens seront libres et égaux, sans distinction de religion ou de degré de religiosité». Une Constitution qui garantit dignité et liberté, et qui sache «fédérer tous les Tunisiens pour bâtir ensemble une société juste et prospère». Ayant prévu de mettre à contribution de grands noms de la réflexion en matière aussi bien de droit constitutionnel que de religion, la conférence a donné la parole, du haut du podium, à Hichem Moussa, Slaheddine Jourchi, Ajmi Ourimi (pour Ennahdha) et Hamma Hammami (au nom du Poct). Ce alors que seront appelés à intervenir de la salle Rachid Mcharek (pour Ettajdid), Emna Mnif (porte-parole de Afek Tounès) et Maher Hnayen (du PDP). Rigoriste sur les conditions de la mise sur pied d'une Constitution digne de la 2e République qu'il n'a cessé de réclamer depuis les années 80, Hichem Moussa a dès le début placé la barre haut. Ancien intellectuel islamiste et militant des droits de l'Homme, Slah Jourchi va se poser en modérateur et en avocat du consensus, dans une Tunisie où la Révolution populaire a su mettre toutes les composantes politiques au pied du mur, avec une obligation de résultats sous la forme d'un système politique vraiment républicain (séparation des pouvoirs), authentiquement pluralistes et démocratique, et qui sache répondre aux attentes de tous les citoyens. «La référence religieuse, explique Jourchi, n'est pas contradictoire avec l'aspect civil et la démocratie, et n'a rien à voir avec l'Etat religieux». Et le communicateur d'appeler l'assistance à se demander si la démocratie est un outil de pouvoir ou un système, avant de répondre à ce questionnement en affirmant que ce n'est pas un simple choix et un simple vote mais un système de liberté et d'égalité et de fonctionnement de l'ensemble des institutions dont se dote la société. Autre interrogation qui s'impose : «La légitimité du pouvoir provient-elle du peuple ou d'une autre autorité‑?» Et Slah Jourchi de trancher : «Pour moi, la «hakimiya» de Sayed Kotb et «Wilayet Al-Fakih sont en contradiction avec la souveraineté populaire en tant que référence unique de la démocratie républicaine». D'où la reconnaissance que l'autorité du parlement élu est absolue et n'accepte aucune condition ou contrainte référentielle. Et Slah Jourchi de rappeler que le choix du mouvement réformiste a été, depuis longtemps, de faire évoluer la législation dans le sens du droit positif. Avant de céder la parole, M. Jourchi a regretté que «certains islamistes soient tentés d'investir le domaine privé des citoyens». Et d'insister sur le fait que l'Etat ne doit pas investir le domaine privé, car sinon la liberté de conscience et d'expression serait ainsi en danger. M. Jourchi cite le cas de l'enseignant de Bizerte mis en accusation d'une manière qui a inquiété même le mouvement Ennahdha. Le représentant d'Ennahdha, M. Ajmi Ourimi, a souligné que notre révolution «s'inscrit dans le processus historique du pays», expliquant qu'après «avoir réalisé la liberté, elle attend de nous que nous garantissions le pouvoir du peuple». Et cette révolution, explique-t-il, a rectifié la trajectoire historique du pays en introduisant la modernité». Désormais, cette modernité authentique ne veut ni d'une islamisation ni d'une laïcisation, mais d'une démocratisation. M. Ourini a rappelé le contenu du pacte signé en 2006 entre les composantes politiques du Collectif du 18 octobre 2005 (PDP - Poct - Fdtl - Ennahdha) qui s'attache au CSP, à la liberté de conscience, au caractère civil de l'Etat, à la séparation des pouvoirs, aux libertés et aux droits de l'Homme. Il s'est réclamé d'une formule du Pr Iyadh Ben Achour: «Passer d'un Etat de la religion à une religion de l'Etat», avant de louer l'expérience turque qui , dira-t-il, «a réussi à assurer la cohabitation de nos valeurs traditionnelles et des valeurs modernes». Précisant qu'il ne s'agit pas de copier un modèle mais de s'appuyer sur son succès pour faire réussir notre propre expérience. «Nous étions pour la liberté, contre l'Etat. Désormais, nous sommes en faveur de la souveraineté populaire et son projet national», lancera-t-il. Ajoutant que la crainte d'un Etat religieux est injustifiée car «nous agissons tous pour l'établissement et le succès d'un système démocratique». A la condition que les ulémas musulmans relèvent la barre de l'ijtihad pour qu'il soit conforme au fonctionnement démocratique. Et de conclure : «Nous avons intégré la démocratie dans notre projet. Et les forces politiques sont réconciliées avec la modernité et agissent pour une démocratie consensuelle». Pour M. Hamma Hammami, la relation Etat-religion a toujours été posée, et après la révolution beaucoup plus qu'avant, sachant que la Constitution future doit trancher ces questions essentielles. Le leader du Poct est revenu sur les propos de M. Slah Jourchi, évoquant la mainmise sur des mosquées, les campagnes de «takfir» et les pressions exercées sur des femmes et jeunes filles pour les obliger à porter le tchador… pour expliquer que «la crainte de la démocratie est là». Expliquant que cette expérience nouvelle («depuis Hannibal, nous sommes sous un régime dictorial», dira-t-il. Et de se demander : «La problématique religion-Etat est-elle une problématique d'identité ou une problématique de libertés, droits de l'Homme et construction démocratique ?». Avant d'expliquer que pour lui, cela doit être traité sous l'angle politique: «Ce n'est pas la foi qui va arbitrer mais le fait que le régime soit démocratique ou au contraire dictatorial». L'orateur a rappelé que certains islamistes veulent séparer Etat et religion pour que les religieux contrôlent l'Etat. Avant de se dire favorable à la séparation religion-Etat «dans le sens où l'a présentée M. Slah Jourchi». M. Hammami a appelé les citoyens à se poser la question: l'identité pour faire quoi au juste? Indiquant que la révolution a ajouté à l'identité la dignité, la liberté et la démocratie. «L'identité tunisienne n'est pas d'être polygame et de frapper les femmes. L'identité est dynamique». Et le dirigeant du PCOT de conclure avec humour que Rached Ghannouchi, l'anti-laïc s'est réfugié en Angleterre, alors que le prétendu laïc Zine El Abidine Ben Ali a fui en Arabie Saoudite. Comme pour inviter les uns et les autres à la réflexion. Le représentant du PDP, M. Maher Hnayen, a appelé, quant à lui, à un Etat civil et à s'attacher aux valeurs démocratiques internationales sans discrimination sur la base de la religion ou de l'ethnie. «Les Tunisiens se moderniseront en restant attachés à leur identité arabo-islamique», conclura-t-il. M. Rachid Mcharek, du mouvement Ettajdid, a dévoilé la position de son parti sous la forme d'une réponse à la question posée, au début, par M. Hichem Moussa : «Qui va écrire la Constitution, et pour qui ?». «Pour tous les Tunisiens», répondra M. Mcharek qui militera pour le maintien de l'article 1er de l'actuelle Constitution, pour sa «lucidité historique». De même a-t-il appelé à refuser de mettre dans notre future Constitution la formule hypocrite indiquant que l'on s'inspire de la «Chariaâ islamique», alors que le but est de donner tous les pouvoirs sous le couvert de «l'interprétation». Enfin, Mme Emna Mnif, porte-parole de Afek Tounès, a estimé que la Constitution doit se construire sur la base de la citoyenneté, des droits de l'Homme, des libertés, dont la liberté de conscience. La foi, a-t-elle indiqué, est une affaire personnelle. «Dieu n'a pas investi les religieux du rôle de surveillance de la foi», lancera-t-elle. Et si la culture tunisienne est bel et bien arabo-islamique, la loi doit obéir au droit positif, sans références ni idéologiques ni religieuses.