Le Prix Abou El Kacem Chabbi, de la Banque de Tunisie,décerné vendredi 27 mai dernier au romancier saoudien Ibrahim Youssef Al Mouhaimid pour son roman Les colombes ne volent pas à Bouraida, a soulevé un tollé au sein de la communauté des écrivains tunisiens. Bien avant la cérémonie de remise du Prix, la contestation avait pris les dimensions d'une véritable campagne, menée par l'un des candidats au Prix, l'écrivain Mustapha Kilani , soutenu par un membre du Haut comité du Prix, Chokri Mabkhout, et un membre du jury de la session 2011 en question, Mohamed El Bardi. A considérer calmement les revendications de cette campagne, voire ses motivations, il s'agit de deux éléments distincts: D'une part, M.Kilani prétend être le «dépositaire légitime» du Prix, affirmant qu'il en a été informé. Par qui? Il s'abstient de citer des noms, se contentant de faire allusion à des confidences qui lui auraient été faites par deux membres du Haut comité du Prix... S'agissait-il d'une annonce officielle, conforme à l'usage et qui exige que ce soit le président du Haut comité qui le fasse? Abstention, encore. Sa revendication trouve, parallèlement, un répondant dans les déclarations données par Chokri Mabkhout, membre du Haut comité ,et Mohamed El Bardi, membre du jury de la session, qui reprochent au Prix un ensemble de griefs, dont essentiellement le manque de transparence. Jusque-là, le Haut comité s'est abstenu de répondre à ce qu'il a estimé être des réactions suscitées par l'élan émulatif de tout candidat. Mais au rythme de la campagne,relayée par de nombreux médias, le comité a décidé de publier un communiqué explicitant sa position Dans ce communiqué, le Haut comité explicite la démarche de la gestion artistique de la session et la procédure d'usage adoptée par le Prix, depuis sa fondation, en 1984, par feu Boubaker Mabrouk, à l'époque président-directeur général de la Banque de Tunisie. Alternant les différents genres littéraires (le roman, la nouvelle, la poésie et le texte théâtral), le Haut comité désigne un jury compétent pour chaque session. Les délibérations se déroulent en présence du Haut comité à qui il revient d'informer le lauréat et de procéder à l'organisation de la cérémonie de remise du Prix. Pour cette session, le communiqué affirme, par référence aux procès-verbaux des réunions et du jury et du Haut comité, que Mohamed El Bardi n'a pas proposé le roman de Mustapha Kilani Casino Fej Errih. Pire, il s'est opposé à ce que le Prix soit remis à un Tunisien. Toujours selon le communiqué qui nous a été adressé par le Haut comité. Celui-ci reconstitue les étapes de la délibération, conformément aux P.V. des réunions: le 4 novembre 2010, deux romans ont été retenus comme étant les deux meilleures œuvres dont l'une pourrait être la lauréate. C'est ainsi qu'une dernière lecture a été convenue. C'est lors de la réunion suivante, en date du 14 décembre 2010 et à laquelle Chokri Mabkhout n'a pu assister, que la décision a été prise par le comité, sur la foi des rapports du jury : cinq rapports de lecture sur sept sont favorables au roman de Ibrahim Youssef Al Mohaimid. Le communiqué, signé par son président, Ezzedine Madani, reproche à Mohamed El Bardi de faillir à la confidentialité du travail du jury et à Chokri Mabkhout de livrer un débat de fond sur le Prix Abou El Kacem Chabbi, qui a sa place, prioritairement dans l'enceinte même- du prix et non sur la place publique. La vive polémique suscitée autour du Prix et entraînant dans son sillage accusations, rumeurs d'arrangements secrets et commentaires aigre-doux est probablement la rançon de son succès. Loin de le disqualifier, elle pourrait enclencher une dynamique de réflexion sur sa restructuration et sur sa place dans un paysage culturel qui ne pourrait, aujourd'hui, exclure toutes les formes littéraires qui foisonnent sur la place et sur la Toile. Faut-il rappeler que la présidence du prix a suivi une tradition de laquelle elle n'a jamais dévié depuis le lancement du prix. Il s'agit, en effet, du principe selon lequel «le prix n'est pas décerné pour honorer quiconque ou pour récompenser l'un des candidats aux dépens d'un autre». Le prix est octroyé à titre d'encouragements ni plus ni moins. Quant au jury, il est composé de créateurs expérimentés, d'académiciens, de critiques et de journalistes spécialisés dont les compétences ne sont plus à démontrer. Les membres du jury ont assumé leur mission comme l'exigent les normes suivies jusqu'ici en exprimant leurs avis sur les romans en compétition et en argumentant les raisons de leur préférence. Il se trouve que les membres du jury ont penché dans leur majorité (5 sur 7) pour les œuvres primées.