Par Adel LATRECH • La victoire de l'AKP met dans une situation quelque peu ambiguë les islamistes tunisiens qui ont aussitôt chanté alleluia. Au mouvement Ennahdha d'en tirer la leçon La victoire écrasante de l'AKP, le Parti de la justice et du développement de Recep Tayyip Erdogan, dimanche dernier en Turquie, lui assure une troisième législature consécutive, augmentant ainsi son pourcentage des voix jusqu'à atteindre un excellent score jamais atteint par des élections, et ce, depuis 1924 avec Ataturk, le leader qui a entrepris de faire de son pays un Etat laïque, moderne et occidentalisé. L'étonnant paradoxe qui pourrait heurter une certaine logique réside dans le choix de son mentor. Soutenir un parti dont les fondements reposent sur un Islam, même modéré, relève de l'absurde. Cette majorité de voix aux dernières élections illustre-t-elle une incohérence au niveau des choix et du programme ? Que non ! Dès son accession au pouvoir, après avoir rejoint le mouvement islamiste «Refah» (prospérité) de Necmettin Erbakan, récemment décédé, R.T. Erdogan a dû s'engager par écrit à respecter fondamentalement le principe de la laïcité sur lequel repose tout l'édifice de l'Etat, avec la garantie de maintenir les libertés de conscience et de conviction avec la nécessité absolue et, surtout, de continuer d'assurer la séparation du spirituel et du temporel. Fort de ce principe, le peuple turc a adhéré massivement à l'AKP. En 1994, alors maire de la ville d'Istanbul, Erdogan s'est acquis une forte popularité grâce à l'efficacité de sa gestion des services municipaux. Considéré comme un important réformateur cherchant à démocratiser la société turque face à l'influence politique des militaires qui ont trouvé en Erdogan l'homme qui a réussi à les mater, il a remis sur pied l'économie malgré la crise mondiale qui a ébranlé les pays industrialisés, en enregistrant un taux de croissance «à la chinoise» de 8,9%. Cette «victoire à la Pyrrhus», ainsi que l'a qualifiée à l'époque la presse occidentale, n'en était pas une et les succès d'Erdogan témoignent en sa faveur. Les Européens, devenus plus indulgents, ont été contraints de rectifier le tir en finissant par admettre qu'ils ont eu tort de juger Erdogan à la légère. Désormais, il n'est plus, selon eux, l'islamiste opposé au progrès mais plutôt un fervent adepte de l'école libérale des 18e et 19e siècle en Grande-Bretagne et en France à la manière de Malthus, Adam Smith, Ricardo, John Stuart Mill et F. Bastiat. La question qui revient sur toutes les lèvres aujourd'hui et à la lumière de ce consensus national, quelle sera la réaction de nos islamistes tunisiens ? Faut-il croire qu'ils auront le vent en poupe en s'imaginant qu'ils sont capables de rééditer l'exploit turc ? Pourra-t-on en dire autant avec le mouvement Ennahdha qui persiste et signe dans sa vision des choses et sa perception des événements ? Les dirigeants de ce parti religieux sont incapables d'anticiper parce qu'ils n'ont pas assez de recul pour se situer intuitivement dans l'avenir. Ils n'ont pas compris que le monde musulman attend toujours son renouveau pour une lecture rationnelle du Coran, seule à même de le projeter dans le 21e siècle. Inscrire la laïcité dans la Constitution et l'appliquer à la lettre, comme c'est le cas en Turquie, est la seule et unique voie pour écarter de son chemin les charlatans et faux dévots, attachés à des pratiques religieuses stupides qui nuisent considérablement et désacralisent l'esprit et la vérité de la foi.