Retardé par une chute à 9 km de l'arrivée, Alberto Contador a perdu 1'14 sur la plupart de ses rivaux hier, au Mont des Alouettes. Le tenant du titre est déjà dans les cordes Et si Alberto Contador avait déjà perdu ? Et s'il avait, surtout, lâché dans sa tête ? A le voir franchir la ligne d'arrivée, hier, au Mont des Alouettes, le doute s'est installé. Car au-delà des 1'14 qu'il a déboursées à la plupart de ses rivaux (1'17 à Evans), l'Espagnol a donné l'image d'un coureur déjà résigné. Désabusé, face à la montagne d'éléments ligués contre lui. Conspué par le public jeudi, Contador avait été surpris. Il ne s'attendait pas à un tel rejet. On le disait très marqué par l'événement. Il aurait peut-être pu s'en remettre rapidement une fois la course lancée et les esprits calmés. Mais hier, c'est un peu comme si une main invisible avait cherché à se joindre aux 63% de Français hostiles à sa présence sur la Grande Boucle, comme si elle s'était substituée au TAS, comme si elle avait voulu lui faire payer son accélération, dans le Port de Balès, en 2010, lorsqu'Andy Schleck avait déraillé. Ce jour-là, Contador avait pris 39 secondes à son rival luxembourgeois : exactement l'écart qui les séparait à Paris. Encore sifflé Il restait donc 9 kilomètres à parcourir hier et, comme toujours lors des premières étapes du Tour, le peloton était très nerveux. De nombreuses chutes avaient déjà émaillé la journée. Mais miraculeusement, aucun leader n'avait été touché. Jusqu'à ce qu'un coureur d'Astana (Iglinsky) percute une spectatrice. Le cœur du peloton s'est alors effondré comme un château de cartes. Sa tête, en revanche, s'est enfuie. Très vite, les grosses équipes ont cherché leur leader. Chez Léopard, les frères Schleck étaient là. Chez RadioShack ? On était au complet, avec Leipheimer, Klöden et Horner. Idem chez BMC où Cadel Evans, pour une fois, avait évité la malchance. Restait donc Contador… Attardé, tout comme son compatriote Samuel Sanchez (quatrième du Tour 2010). Devant, personne n'a attendu. Ce bon vieux Yaroslav Popovych (RadioShack) n'a eu aucun scrupule à visser la poignée pour éloigner plus encore Contador, avant que les Omega Pharma de Gilbert n'entrent en scène pour jouer la victoire d'étape. L'écart est monté rapidement et dans de larges proportions. Car le plus surprenant dans cette histoire, c'est peut-être l'attitude de Contador à l'arrière. Se contentant de rester dans les roues d'un seul équipier (Noval) et des Euskaltel de Sanchez, jamais il n'a passé le moindre relais. Jamais il n'a donné l'impression de vouloir bouffer la terre entière pour se défendre. Bien loin d'un Armstrong, par exemple, qui aurait sans doute serré les dents et sorti toute sa méchanceté pour ferrailler pied à pied contre ses rivaux. Abattu, Contador ? Résigné ? Dégoûté ? Il y avait un peu de cela oui. Jérôme Pineau a fait les derniers hectomètres à ses côtés : «J'ai vu un Contador marqué, qui souffrait. Heureusement qu'il avait les Espagnols avec lui. D'autant qu'il a été énormément sifflé par le public…» La deuxième lame? De tous les grands favoris, Contador est quasiment le seul à avoir payé aussi cher son tribut au mauvais sort. A titre de comparaison, Andy Schleck, Robert Gesink, Levi Leipheimer ou Ivan Basso ont, eux aussi, été pris dans une chute, quand ils ne sont pas tombés eux-mêmes. Mais c'était un peu plus loin, après la banderole des 3 km de l'arrivée, qui leur garantissait d'être classés dans le même temps que le peloton. Ainsi, Andy Schleck s'est-il offert le luxe de finir après Contador, mais de le devancer de 1'14 au classement général. Ça fait mal. Reste à savoir quelles seront les conséquences de ce premier coup de tonnerre sur le Tour. Car aujourd'hui, Andy Schleck avec Léopard et Cadel Evans avec BMC semblent en mesure de passer la deuxième lame. Les Saxo Bank de Contador partiront les premiers, comme une équipe de troisième zone. C'est un énorme handicap. Combien risquent-ils de débourser ? 30 secondes ? Peut-être plus. Hier soir, dans l'hôtel qu'il partage avec Andy Schleck, Contador a dû discuter avec son manager Björne Riis. Que se sont-ils dits ? Peut-être que le coureur a dit qu'il en avait déjà ras-le-bol d'être un paria du Tour, que son équipe était trop faible, qu'il n'était pas aussi bien préparé que l'an dernier, et qu'il n'aurait pas la force de reprendre 2 minutes à Schleck en montagne. Bref, qu'il se verrait bien jeter l'éponge. Riis, lui, a peut-être répondu qu'un champion, un vrai, doit se révéler dans l'adversité. Qu'une réponse spectaculaire à Luz Ardiden serait la bienvenue. Que cette course à handicap qui se profile est une aubaine pour reconquérir (un peu) le cœur du public. Et qu'après tout, le Tour est encore long. Mais il est sacrément bien parti !