«Homme libre, toujours tu chériras la mer» (Baudelaire). «Stop!», devant la mer, tout s'arrête. Tout repart. Tout s'égare et se retrouve. Nos pas bruyants, brouillons, nos rues poussiéreuses parsemées de crotins d'équidés, nos ricanements de fin de journée devant un thé à la menthe. Ces fleurs de jasmin qui envahissent nos clôtures comme les étoiles d'une nuit magique, ces raquettes de figues de Barbarie qui se cachent derrière le vieil olivier, noueux millénaire, plongé dans son interminable médit... ation, médit... erranée. Là où nos souvenirs errent, se mélangeant à nos rêves, toujours bourrés de... rêves. Ici, les vestiges d'un ribat, la coupole blanche d'un marabout, là, une vieille dalle en mosaïque. Ici, une amphore ébréchée, là, le vin coule à flot, ici, c'est l'huile lumineuse, l'huile lumière, la douce panacée, la reine des huiles, l'huile sacrée. Alexandrie, encore et toujours Devant la mer, tout s'arrête, tous se taisent. «Pleine de silence, la mer, que j'adore», chante Najett et son Alexandrie de reprendre le refrain. Cette Alexandrie ensorceleuse, chargée de mythes, cosmopolite, belle comme une douce journée de printemps et attachante. Ô Alexandrie, fille d'Alexandre le Grand, sœur de Cléopâtre, maîtresse de César, gloire d'Ibn'oul Aas, confidente d'Aboul Abbès Al Murci (de Murcie), disciple de Sidi Bou Saïd El Béji (de Tunis), deuil indélibile d'Ibn Khaldoun, nostalgie déchirante de Farouk d'Egypte. Alexandrie, skindiri'ya, l'amoureuse, de Youssef Chahine et de Chady Abdessalem. De Mustapha Kamil qui commença son fameux discours nationaliste en disant : «Biladi Biladi anti hobbi wa fouedi» (Mon pays, ô mon pays, tu es mon amour, tu es mon cœur). De Dalida «Helwa ya baladi» (Doux, comme tu es ô mon pays). Du fameux discours du Raïs annonçant la nationalisation du Canal de Suez : «T'iich ya Gamel» (Vive Jamel Abdennasser), scandaient alors les skandaranis et derrière eux tous les Egyptiens. «Dou'ou chamessi», comme chantait Abdelhalim (Plantez les parasols) dans l'inoubliable «Abi fawqa'chajara» avec la sculpturale fausse-blonde Nadia Lotfi. Oh skindiriya, avec ton très vieux tramway, tes immeubles croulants, tes catacombes, ton interminable corniche, écoute la triste complainte d'un amoureux venir tout droit de Sousse. Un amoureux qui ne cesse de gémir en attendant de te revoir. Toi, mais aussi Lattaquié, Antaliya, Izmir, Marsaille, Malaga, Alger, Tabarka, Bizerte, Kélibia, Monastir, Houmt-Souk, Zarzis, Tripoli, La Valette... Toutes ces belles et séduisantes cités carressées depuis leur tendre enfance par notre mère à tous, notre mer nourricière, notre Méditerranée. Il y a toutes les mers, tous les océans que Dieu créa et il y a... la Méditerranée. Une mer, mères de grandes civilisations, mer qui offre à ses rivages son plus beau cadeau, l'impression de vivre l'éternité. Triste Tripoli Triste, hélas tu es, triple cité. Triste tu es, ville tuée, triple ville, Tripoli. Automne 1911, tu es agressée par les arrière-petits-fils de Néron. Automne 1969, tu es prise par un futur fou sanguinaire. Comment sera ton automne 2011, Tripoli? Pourquoi ton Néron à toi martyrise-t-il depuis près d'un demi-siècle? Je me rappelle de ton aéroport triste et mal entretenu, tes rues parsemées de nids-de-poule. Ton hôtel «Al Bahr» (la mer), délabré, ta Médina envahie par les commerces de produits chinois, tes immeubles typiques du côté de la corniche ressemblant à des épis de maïs (dhet'il'iimed), debout sur un seul et très gros pilier, chacune son souk des bijoutiers et des orfèvres, ton souk libya (c'est le mot), immense et plein à craquer et… ton admirable musée national front de mer Que deviens-tu après tant de décennies perdues en divagations et en errances, après cette mer de sang qui t'entoure, ces bombes qui s'abattent sur toi nuits et jours? Me revient à l'esprit comment tu as été prise par le corsaire Ali Borghol (Boulghour) à la fin du XVIIIe siècle, et comment Hammouda Pacha, Bey de Tunis, dépêcha son armée et sa flotte (en 1795), pour rétablir le pouvoir du bey Ahmed II Karamanlis (Qara'manli). Barcelone l'exubérante Attachante, parfois hautaine, mais surtout exubérante. En effectuant son périple méditerranéen et le tour de ses ports, donc de ses bars (Jawlatou'n fi hanet al bahr al abiadh al moutawasset), notre grand Ali Douagi (1909-1949) a vraiment raté Barcelone. Oui, c'est cela, Barcelone, attachante, hautaine et exubérante. La ville adoptive de Picasso et de Gaudi est aussi la perle de la Méditerranée. Une grosse perle mais qui ne peut pas surpasser par exemple Tazarka, Marsa lokk (Marsa chloq), la plus coquette des villes-ports de pêche de la Méditerranée, à Malte, ou La Goulette, en termes de méditerranéité. A la Rambla qui donne directement sur le port de plaisance, la vie diffère selon les moments de la journée. Animation de rue, le jour, cabarets chauds la nuit. Mais la douce et enivrante brise méditerranéenne est là pour revigorer les âmes essoufflées par tant de folies jusqu'à l'aube. Barcelone est une ville qui ne connaît pas le sommeil. Comment parler de Barcelone sans évoquer l'un des monuments les plus emblématiques de la ville, la colonne dédiée à Christophe Colomb ? Face au port, là où vient mourir la Rambla, la colonne de Colomb défie le temps, défie l'espace. A l'extrémité de ses cinquante mètres, une statue du célèbre navigateur pointant la mer de son index. Montrant le chemin ? Accusateur ? Conquérant ? L'on dit que la colonne immortalise le retour à Barcelone en 1493 de celui qui, pour l'histoire, qui reste à réécrire, a découvert le continent américain. Le modèle du conquistador venait hélas de vaincre celui du Sindbad. Mais ce n'est que partie remise. Grâce à un ascenseur, le visiteur de la colonne peut admirer une vue panoramique du port et de la Rambla. Là haut, sur l'une des collines verdoyantes de la capitale catalane, un des plus luxueux châteaux d'Europe. A gauche, la capitainerie du port, un vrai joyau de l'architecture belle époque. Plus loin, le bâtiment du musée d'art moderne. A droite… A droite, les anciens arsenaux. C'est dans ces locaux que les navires de guerre espagnols venus occuper la Tunisie à partir de 1535 ont été construits. Ils étaient quelque quatre cents bâtiments ayant permis d'embarquer quelque 33.000 hommes avec toutes les armes nécessaires. Tous sous les ordres de Charles Quint, décidé à faire rentrer l'Afrique du Nord dans le giron de la Chrétienté après huit siècles d'Islam. Ce même Islam qui a donné toute sa splendeur et toute sa richesse à l'Espagne. Mais la découverte de l'Amérique était-elle l'œuvre de Colomb uniquement ? Les musulmans n'ont-ils pas participé à cette découverte ?