Par Mohamed HACHANI Le geste de trop ! Mon fils, que fait-on de ta révolution ? Je suis inquiet ! Je suis confus ! Je ne cesse de m'interroger: Alors que les procès des malfaiteurs et des magouilleurs traînent en longueur, alors que des forces occultes sèment la pagaille et la zizanie, alors qu'un prétendu gouvernement de l'ombre tire les ficelles et place ses hommes pour garder la main sur les affaires et sur le pays… voilà qu'on s'attaque maintenant à la seule bouée de sauvetage qui nous reste : le droit à l'information ! Le geste du Premier ministre provisoire secouant le micro d'El Watania et malmenant la journaliste qui posait une question pourtant anodine dans le cadre de l'exercice de ses doits de journaliste libre était le geste de trop qui m'a réellement sidéré; surtout qu'il émane d'un homme qu'on a longtemps respecté et vénéré. Je me suis senti déçu, abattu, et de nouveau reclus dans la plus profonde des solitudes qu'on m'a imposée depuis toujours en matière de liberté d'expression. La seule différence est que l'ancien régime procédait en douce, en catimini, pour réprimer les journalistes et les faire taire à jamais. Aujourd'hui, on a recours à la violence verbale et physique. C'est le geste de trop qui nous interpelle tous : que nous reste-t-il si notre droit à l'information n'est plus reconnu ? Quel sort nous est réservé si nos journalistes sont agressés par ceux-là mêmes qui prétendent nous amener aux prochaines élections sans encombre ? Mon fils, je suis malade. J'ai trop longtemps vécu les yeux baissés. Je croyais prendre aujourd'hui ma revanche sur les longues années de directives erronées en matière de presse et d'information… tant d'années d'embargo, de rétention, de propagande et d'exclusion. Nos journalistes vont-ils être, de nouveau, menacés, bâillonnés, muselés, réprimés ? Serions-nous contraints à regarder sans voir, à écouter sans entendre, à parler pour ne rien dire et à écrire pour acquiescer, vanter, louer, fêter et…applaudir ! Relève-toi, mon fils. Les martyrs de la révolution se retournent dans leurs tombes. Tant de sang a écoulé. Ce n'est pas pour couper un micro ou pour accuser une voix qui a juste voulu s'exprimer. Mon fils, on ne va pas réquisitionner ton ardeur et ta volonté. On ne peut plus accuser ou menacer les hommes et les femmes de la presse qui revendiquent leur droit de questionner et de critiquer. C'était un geste incompréhensible venant d'un homme jouissant d'une stature et d'un charisme indiscutables; une bavure que l'on va s'efforcer vite d'oublier, car nous croyons encore en l'école de Bourguiba bien que celle-ci soit ouverte, moderne et combattante — comme l'était le Combattant suprême — mais pas démocrate ! Seulement, notre vénérable actuel Premier ministre doit comprendre que depuis les années de la «légitimité historique», de l'eau a coulé — tant d'eau — sur le cours de l'oued Medjerda. Aujourd'hui, c'est la légitimité révolutionnaire qui lui impose, comme à tous les candidats au pouvoir qui courent… courent pour diriger et gouverner, la sacro-sainte règle du droit à informer. Sans contre-pouvoir, sans presse libre, on ne peut plus parler de démocratie et de citoyenneté. Rappelle-toi, mon fils, un journaliste bafoué, une plume réprimée, un micro malmené, ce sont nos libertés qui sont usurpées !