Le couscous, de son vrai nom berbère «Kascous», constitue, de nos jours un mets international reconnu pour ses grandes valeurs nutritives et pour son goût à la fois équilibré et exquis. En Tunisie, il représente le repère fondamental de la gastronomie locale dans toutes les régions sans exception. Concocté tant pour célébrer les heureux évènements que durant les cérémonies funèbres, le couscous est également un plat familial hebdomadaire. Quel autre mets pourrait-il se substituer au grand «tebsi» de couscous, préparé par les mères de famille tous les dimanches? Plus qu'un repas traditionnel, ce parfait mélange de fins grains de pâtes préparés à base de semoule, mais aussi de légumes, de pois chiches et de viandes, le tout, relevé par des épices et par le piquant de l'harissa et des piments cuits ou frits; ce plat donc fait partie de notre patrimoine. Depuis l'époque phénicienne et jusqu'à nos jours, toutes les civilisations qui se sont succédé sur notre territoire ont adhéré sans hésitation à la pérennité et à la sauvegarde de cette recette, en y ajoutant, à chaque fois, une touche originale et enrichissante. Aujourd'hui, les Tunisiens modernes ne peuvent, eux-aussi, s'en passer. Toutefois, les jeunes générations ignorent toutes les étapes nécessaires à la transformation des graines de blé en une pâte à la fois légère, granulée et appétissante. La cérémonie de la «oula», organisée jadis dans tous les foyers tunisiens, a été vouée à l'oubli. Pour les Tunisiens d'aujourd'huit, l'on obtient le couscous qu'auprès de l'épicier du coin ou du supermarché, sous forme de paquets emballés, sur lesquels sont inscrits «couscous fin», «couscous moyen», «gros couscous»» ou encore «couscous complet». Pour ressusciter cette tradition, expliquer la portée anthropologique et informer sur les valeurs nutritionnelles de ce plat, la Maison des associations médicales sise à l'école Slimaniya à Tunis a organisé, hier, une manifestation mettant en exergue la cérémonie de la «oula». Cette rencontre est suivie par une série d'interventions sur l'historique de cette tradition et sur les vertus du mets. En sillonnant les ruelles de la Médina de Tunis en direction de l'école Slimaniya, les narines s'excitent à deux reprises à la senteur gourmande du couscous que prépare l'une des femmes habitant la Médina ou peut-être l'un des restaurants du lieu. Une fois arrivé au siège des associations médicales, cette odeur s'estompe. Dans le patio, quatre femmes, spécialisées dans la préparation de la «oula», commencent à installer leur matériel de travail. Trois tamis, trois grands récipients «Ksaâ», un seau contenant de l'eau et un récipient en métal pour s'en servir. Les ingrédients sont d'une extrême simplicité: semoule fine, dite «Khamsa yessi», de l'eau et du sel fin. Samia et Saïda, assises toutes deux par terre sur un linge, ont pris chacune une bonne quantité de semoule dans un gros récipient «Kasaâ». Ajoutant du sel à ces graines et les imbibant, par moments, d'eau, elles mélangent le tout en s'appliquant à des mouvements circulaires et énergiques. «Généralement, la cérémonie de la «oula» est entamée très top le matin, le temps que le couscous sèche un peu avant qu'il ne soit cuit. C'est préférable aussi afin que les femmes évitent la hausse mercuriale des matinées de juillet», indique Samia, sans interrompre sa tâche. Cette cérémonie constituait, jadis, une autre occasion pour les familles tunisiennes de se réunir autour d'un rituel, joignant ainsi l'utile à l'agréable. Le premier homme qui entrait pendant la «oula» est interpellé:«El khit alik», lui disait-on. Une manière de l'inciter à aller chercher une pastèque, des patisseries ou des fruits secs pour le thé. La préparation d'une bonne quantité de couscous, assez suffisante pour subvenir à la consommation de toute la famille durant l'année. «Les familles tunisiennes profitaient de cette occasion pour inviter les voisines passer des moments conviviaux autour d'un «tebsi» bien garni. Elles entonnaient des chansons typiques tout en sentant l'odeur du «bkour». Dans le milieu rural, la «oula» est étroitement liée à la saison de la récolte, de la fertilité. Elle acquiert, ainsi, un aspect sacré: les femmes remercient Dieu pour la bonne récolte», explique Mme Sallouha Inoubli, directrice de la Maison des associations médicales de la Slimaniya. Elle ajoute: «Je me souviens que les familles s'apprêtaient à la «oula» une semaine avant cette tâche. Le nettoyage des ustensiles en cuivre «tkazdir ennhas», le blanchiment des terrasses, tous ces préparatifs sont indispensables à la «oula», note Mme Inoubli. Une technique, un produit, un plat Samia, Saïda et Hamida se penchent chacune sur une tâche particulière. Pour être préparé, les femmes s'appliquent à plusieurs étapes. «Une fois préparé, le mélange fait à base de semoule, de sel et d'eau passe à l'étape de tamisage. L'on utilise, d'abord, le tamis à gros trous, dit «sagat». Puis, on recourt au deuxième tamis, appelé communément «Thannaya». Et enfin, on passe au dernier tamis - «Talleaâ»- qui nous donne les grains conformes au vrai couscous», précise Hamida. Cette technique est également utilisée pour la préparation des «mhammes» mais à une différence près: pour des grains plus gros que ceux du couscous, l'on n'utilise que deux tamis, évitant celui aux trous trop fins. Une fois les grains prêts, le couscous est étalé sur un linge et exposé au soleil. Il est limité des deux côtés du linge par deux nattes. Cette phase s'étale sur quatre ou cinq jours. Samia précise que chaque soir, les femmes ramassent le couscous dans un linge afin qu'il n'absorbe pas l'humidité. Une fois séché, le couscous est stocké dans des «khabia». Hamida précise qu'il est nécessaire d'ajouter au couscous des clous de girofle afin d'éviter la moisissure. Mme Inoubli indique que certaines femmes y ajoutent même des piments rouges. Dans le milieu rural, le couscous est souvent stocké dans des «nafoul» qui ne sont autres que des sacs fabriqués à partir de peau de chèvre ou de chameau. «Le recours à des matières naturelles est toujours mieux indiqué pour le stockage des aliments», rappelle Mme Inoubli. Savoir investir dans le savoir-faire ancestral Cette manifestation paraît simpliste. Pourtant, sa finalité vise à la résurrection de l'un des us et coutumes jugés, hélas, facultatifs. L'idée étant, donc, de redonner un souffle à une cérémonie qui réussit l'équation: sécurité alimentaire, convivialité et pérennité d'une pratique, voire d'un métier ancestral. La directrice de la Maison des associations médicales de la Slimaniya ne cache pas sa déception de voir notre patrimoine culinaire reculer progressivement, dépassé sans doute par des solutions de facilité. «Je pense qu'il est grand temps que les spécialistes conjuguent leurs efforts pour sauver notre patrimoine et investir dans les petits métiers typiquement tunisiens», renchérit Mme Inoubli. Une idée qui a, d'ailleurs, intéressé certaines associations marocaines, lesquelles ont eu raison de miser sur le savoir-faire des femmes au foyer pour lancer une gamme de couscous typiquement artisanal. La «oula» s'achève sur la préparation d'un bon couscous à la viande auquel tout le monde est convié. Ç'aurait été meilleur si... La manifestation organisée par la Maison des associations médicales de la Slimaniya émane d'une noble intention, celle de sensibiliser à la nécessité de sauvegarder nos traditions de génération en génération et d'inciter à l'investissement dans ce savoir -faire. Toutefois, et malgré les efforts fournis par l'organisatrice et les femmes venues pour animer cet événement, certains détails nous laissent sur notre faim. Le tableau s'avère, en effet, incomplet: il aurait suffi de présenter les différentes phases de la transformation de la graine de blé en un couscous. «Cela nécessite beaucoup de préparatifs et de matériaux, notamment la «rha» traditionnelle ou encore le blé», répond Mme Inoubli. Un petit effort en matière d'habillement, toujours en misant sur l'aspect tunisien aurait fait la différence. Le recours à des ustensiles en cuivre aurait, également, contribué à la promotion de ce métier artisanal, voué, lui aussi à l'oubli. «J'ai pas réussi à avoir ces ustensiles, ni même à en louer», note la responsable. Ces détails auraient, pourtant, apporté une touche plus authentique et plus nostalgique. D.B.S.