Par Abdelmajid BETTAIEB Je t'écris cette lettre : je ne veux ni indulgence, ni pardon C'est simplement un témoignage, peut-être une thérapie. J'ai les cheveux grisonnants pour avoir dépassé la cinquantaine, un peu gras mais l'œil encore vif. J'ai fréquenté l'école publique dans un village reculé où la cantine nous servait du lait chaud le matin et un repas complet à midi. L'école n'avait ni eau courante, ni électricité, ni bus de ramassage scolaire, seules les visites du médecin ou du camion de projection de films représentaient des événements pour rencontrer des gens venus d'ailleurs. Le nombre des élèves dans la classe variait au gré des évènements météorologiques, car souvent la saisons des semences faisait appel aux petits bras qui d'habitude maniaient le crayon et la gomme. L'instituteur, chef incontesté du village, redoublait d'effort pour faire accéder le maximum d'élèves au lycée. Moi, j'allais à l'école à pied, d'autres utilisaient le mulet seul ou attelé à une charrette. Le calme de l'école était perturbé quelquefois par la visite de l'inspecteur ou le chef de la Garde nationale venu pour je ne sais quelle mission. J'étais heureux… Le temps a passé, une Peugeot, puis une Mercedes a remplacé le mulet devant la maison, les canalisations d'eau potable ont remplacé la citerne, la lampe hallogène a remplacé la ftilla (lampe à pétrole), la télévision «Plasma» et le récepteur ont remplacé la veillée familiale autour du thé noir… Bref, rien n'était plus comme avant. Je n'ai pas su m'adapter, c'était trop rapide pour moi, je n'ai pas su transmettre les valeurs de mon village, de mon école et de mon instituteur. Je me suis laissé faire sans bouger, sans réagir… par intérêt… par lâcheté… l'argent roi, par tous les moyens au détriment de l'effort de la probité. Le 14 janvier 2011 m'a libéré d'un grand fardeau… Grâce à toi, je peux dire merci à la jeunesse tunisienne pour m'avoir rendu mon âme.