Par Foued ALLANI «Alors ! Ça y est, tu pars en vacances ?», demande M. Meyfelletchey à son voisin M. Khalli aâzehesket. «Non, pas encore, répond ce dernier, je vais au boulot». – Avec tous ces bagages ? rétorque M. Meyfelletchey – Ben malgré moi – Une valise, un couffin, un carton… ? – Il le faut bien… dans la valise, j'ai mis mon manteau, mes gants, mon bonnet et mon cache-col, tous en pure laine. Dans le carton, il y a le réchaud électrique et dans le couffin, le nécessaire pour préparer un bon lablabi…l'harissa, je l'ai préparée moi-même… pleine d'ail, d'épices… – Tout ça dans le boulot ?… En plein été ? En pleine canicule ? – Dans et pour, c'est pour travailler à l'aise à cause de l'ambiance glaciale qui règne dans notre agence… Vous savez, ils font fonctionner le climatiseur à fond. Moi, par exemple, mon poste est juste en dessous d'une bouche diffuseur. Brr ! J'ai les os qui gèlent, alors je me protège du froid… Et quand l'heure avance et que le local devient de plus en plus glacial, j'allume le réchaud puis quand j'ai faim, j'en profite pour préparer mon lablabi… mais je dois faire attention, le chef de service a une de ces colères s'il me voit en train d'allumer le réchaud. – Pourquoi ? il n'aime pas le lablabi, lui ?… Tu n'as qu'à lui en donner… Tu sais, quand tu donnes à manger, tu es ainsi sûr que l'on ferme l'œil «Ataâm el fom testehy l'aïn». – Non, non, non… Ce n'est pas une question de complicité, répond M. Khalli aâzehesket… c'est une question de principe, le chef de service doit veiller à ce que nous ne gaspillions pas d'énergie… et comme tu le sais, le réchaud ça consomme. – Et pourquoi tu ne réduis pas, toi et tes collègues, la puissance du climatiseur… C'est-à-dire augmenter la température… vous avez perdu la télécommande ou bien vous n'arrivez pas à vous entendre pour l'achat de piles à la commande ? – Ni l'une ni l'autre… nous avons une centrale, mais pas de thermostat dans la salle commune… Ce sont les responsables qui possèdent un thermostat chacun dans son bureau. – Vous n'avez qu'à réclamer un thermostat. – T'es fou ou quoi ? Tu veux que l'on nous mette au frigo !! – Ah, tiens par la même occasion… comment font tes collègues qui sont au frigo pour supporter le blizzard dans lequel vous travaillez ? – Ça dépend ! – Ça dépend de quoi ?… De l'emplacement de leur poste dans la salle ? – Non… Ça dépend de leur grade dans le frigo. – Ah bon ! Il y a des grades dans le frigo ? – Ben oui !, qu'est-ce que tu crois, toi ? Dans l'ici- bas, tout est affaire de rang, alors il y a ceux qui sont dans le bac à légumes et il y a ceux qui sont carrément dans le congélateur. – Brr !… Mais comment arrivent-ils à supporter et le froid du climatiseur et celui du congélateur ?… Ils se couvrent doublement, je pense ? — Détrompe-toi, cher voisin Meyfelletchey… Ils sont drôlement bien couverts… ils sont rarement au bureau. Et quand par hasard vous les voyez, ils sont là pour user du téléphone ou pour se faire emprunter de l'argent. Euh, j'oublie… Ils viennent aussi dans les réunions pour proposer des améliorations dans le système de… —… production ? — Non de rémunération… quant aux gens qui ont la malchance de ne pas être au frigo… ils bossent, eux… ils bossent et ils sont cuits à petit feu. Eh oui, cher voisin meyfelletchey, les gens qui travaillent sont comme des bougies qui fondent pour éclairer les autres — Samahni (pardon) si khalli aâzehesket. C'est de ta faute si tu n'es pas encore au frigo. — Comment ça de ma faute ?… comment ça de ma faute ? alors là si meyfelletchey, tu appuies trop sur l'accélérateur ! Sache bien que j'ai essayé mille et une fois d'accéder à ce statut… Rien à faire, il faut des compétences particulières. — Faut pas s'énerver, cher voisin… pour accéder à ce vénérable statut, il faut avoir du sang-froid…, et je vois bien que cette compétence te manque cruellement… — Et qu'est-ce que je suis en train de faire depuis ce matin d'après toi ? N'est-ce pas avoir un sang de glace que de subir un interrogatoire, le tien ?… Si je n'ai pas pu accéder au statut du «frigo», c'est parce que j'ai du sang-froid… pour le frigo, il ne faut pas avoir du sang du tout… pas une goutte, tu sais… Par contre, il faut avoir plein de relations solides et une grande gueule… Sache bien si meyfelletchey qu'il faut travailler dur pour accéder au frigo et jouir de tous ses privilèges. Quelques jours après, M. Khallia âzehesket sort comme d'habitude de chez lui le matin mais cette fois-ci sans ses bagages. Il est plutôt habillé comme pour aller à la plage. Chemise et short fleuris, sandales, lunettes de soleil, chapeau, seau, glacière… Et comme d'habitude, il tombe nez à nez avec son très attentionné voisin, qui ne rate rien, M. Meyfelletchey, l'ordinateur super-puissant du quartier. — Ah, cette fois-ci, je vois bien que tu pars en vacances… Quest-ce que je raconte ?… Tu es déjà en vacances. — Pas du tout, répond tout de suite M. Khalli âazehesket. — Alors on t'a mis au frigo… enfin promu cher voisin… tu vois bien que mes conseils t'ont servi… tu me dois un verre, cher voisin… on le prend tout de suite, hein ! — Ar-chi-faux… encore une fois, tu te plantes, cher voisin… Je m'en vais au boulot ni plus ni moins. — Sans tes bagages ?… Et sans ta promotion?… — Sans mes bagages et sans ma promotion. Par contre, je ne dois pas oublier ma glacière, ni mon seau d'eau pour y mettre mes pieds. — Blizzard !… Euh ! Je veux dire bizarre. — Ni l'un ni l'autre… C'est notre climatiseur… Il est enfin tombé en panne!