Le Centre des études sur l'islam et la démocratie a organisé, avant-hier, une conférence sur le rôle de la société civile dans la transition démocratique. Ce thème préoccupe à la fois les politiques, le tissu associatif tant à l'échelle nationale que régionale, mais aussi, et surtout, les sociétés arabes qui croient en l'importance de l'apport de la société civile dans l'accomplissement des objectifs de la révolution et dans la construction d'un système d'intervention pertinent dans tous les secteurs. Dans son allocution de bienvenue, M. Radhouane Masmoudi, président du centre, a pris soin de présenter le centre, ses objectifs et les grandes actions réalisées dans l'optique de diffuser une culture islamo-démocratique, fondée sur le dialogue, le respect mutuel et l'ouverture sur l'autre. «Le Centre des études sur l'islam et la démocratie est une association qui s'applique à la promotion des principes démocratiques dans le monde arabo-musulman. Nous avons organisé plusieurs rencontres dans cette optique et nous avons réussi à initier 8.000 personnes à la culture islamo-démocratique. Une initiation qui permet aux musulmans de prendre connaissance des droits et des devoirs de citoyenneté, des principes de la démocratie dans une communauté musulmane», explique M. Masmoudi. Le centre a, par ailleurs, été à l'origine de la création, en 2005, du Réseau des démocrates dans le monde arabe; lequel réseau est devenu, depuis 2007, une organisation à part entière. La conférence a été donnée par M. Souhaïb Al Barazanji, directeur exécutif du Réseau des démocrates dans le monde arabe. L'orateur a qualifié le contexte arabe révolutionnaire d'optimiste, voire de passionnant. Pourtant, son analyse de l'état des lieux de la société civile tire plus la balance vers un réalisme plus pessimiste que rationnel. M. Al Barazanji nie toute implication de la société civile arabe dans les révolutions populaires, insinuant ainsi une passivité totale des ONG. Pour lui, la société civile dans le monde arabe est caractérisée par une fragilité et une marginalisation accablantes. «Dans le monde arabe, le tissu associatif ne dépasse pas les 100 mille associations. En Tunisie, il est de près de 10 mille ONG, ce qui est nettement insuffisant. Or, l'on ne peut asseoir un régime démocratique sans qu'il y ait une société civile de poids», indique le conférencier. Pour repartir du bon pied, il est nécessaire, donc, de redéfinir la société civile, mettre en place de nouveaux moyens de communication et de s'adresser à un nouveau public. La société civile post-révolutionnaire est amenée à assumer pleinement ses responsabilités; celles de protéger les actions et les objectifs démocratiques et les catégories sociales marginalisées. M. Al Barazanji insiste sur l'encadrement et l'orientation des jeunes afin qu'ils soient désormais aptes à relever les défis démocratiques. Primauté des priorités régionales Par ailleurs, le conférencier salue l'émergence d'une nouvelle identité dans les pays arabes, celle notamment internationale, voire humanitaire. Grâce aux Ntic les jeunes Arabes ont pu s'ouvrir sur les autres civilisations dans un esprit de tolérance, en dépit de toute différence. La société civile est, par conséquent, appelée à promouvoir cette nouvelle identité et diffuser la culture de la tolérance et de l'ouverture sur autrui. Toutefois, elle doit faire preuve de vigilance quant aux priorités spécifiques des sociétés arabes. M. Al Barazanji met en garde contre le financement étranger des ONG arabes, qui donne aux pays occidentaux la légitimité d'imposer des agendas inappropriés aux préoccupations et à la réalité des pays arabes. «En Jordanie, par exemple, le problème des femmes ne se limite pas aux seuls quotas au sein du parlement. La femme jordanienne a besoin d'un code de statut personnel susceptible de protéger ses droits. Le trafic humain compte, également, parmi les problèmes majeurs de la société. Pourtant, il ne figure pas sur la liste des priorités», indique le conférencier. L'orateur pointe du doigt d'autres obstacles dont souffre l'esprit associatif. En effet, la société civile a, souvent, tendance à se renfermer sur elle-même, trop occupée qu'elle est par l'aspect «professionnel» de l'action associative. Telle une élite, elle tourne le dos à la population cible qu'est la société. L'intérêt croissant de certaines ONG pour la vie politique s'avère une erreur de plus. «Tous ces points s'ajoutent à la crainte de la société d'un avenir inconnu. Le déficit de confiance bloque la situation et empêche tout pas vers l'avant. C'est pourquoi il convient de faire table rase du passé et démarrer à zéro», conclut M. Al Barazanji. Etablir une communication entre les ONG et la société En réponse à cette analyse-sentence, M. Masmoudi rappelle qu'il est important, dans de pareil contexte, de faire la part des choses. Il rappelle que bon nombre d'ONG ont cravaché dur et avec conscience. «Ces ONG n'ont misé ni sur l'aspect lucratif ni sur l'aspect professionnel. Certaines d'entre elles ont eu recours à des financements étrangers car elles étaient à court de moyens», fait remarquer M. Masmoudi. L'assistance s'est également interrogée sur cette proposition trop radicale pour être juste. Comment condamner le travail de tant d'années de labeur, accompli par une bonne partie de la société civile? Comment amputer toute une phase de ce parcours et repartir à zéro alors que la société civile est appelée, plus que jamais, à œuvrer pour la transition démocratique? Certains se sont interrogés sur l'éventualité de compromis favorisant les financements étrangers et garantissant des agendas au service des priorités régionales. D'autres ont relevé l'absence de communication entre les ONG et la société. Ils ont également attiré l'attention sur l'absence de centres de recherche sur les stratégies associatives. L'un des intervenants a indiqué que la société civile est aussi responsable du tumulte qui règne dans la Tunisie post-révolutionnaire et qu'il est grand temps que la société civile et la société tout court rompent définitivement avec l'esprit de passivité.