Par Soufiane Ben Farhat A l'instar de tout pays au lendemain du renversement d'une dictature, la Libye est à la croisée des chemins. Lu dans La Tribune il y a deux jours: "L'exemple libyen, cas fréquent dans l'histoire moderne, montre que lorsque la conquête du pouvoir se fait par les armes, la légitimité militaire entre en opposition avec la légitimité démocratique. Pour éviter cette contradiction, la transition politique doit intégrer l'ensemble des forces en présence, sans exclure pour autant les éléments les moins compromis parmi les vaincus. Reste à savoir alors si toute la mouvance islamiste, dont certains segments ont des connexions avérées avec Aqmi, jouerait le jeu d'une transition démocratique où elle n'aurait pas forcément le premier rôle. Question aussi énigmatique que le sourire de la Joconde". Plusieurs observateurs suivent avec intérêt les évolutions en Libye. Déjà, le différend algéro-libyen enfle. Il menace de devenir un abcès de fixation. Côté Tripoli, on se prévaut d'une légitimité révolutionnaire. Et l'on accuse l'Algérie d'avoir soutenu militairement — et via des miliciens — le régime déchu de Kadhafi. Alger ne le voit pas de cet œil. On y brandit volontiers le spectre et la menace d'Al Qaïda au Maghreb islamique via certains groupes de rebelles libyens. Sur le terrain, malgré la chute du régime, les choses ne sont pas encore claires. Il y a quelques heures, les rebelles ont annoncé avoir lancé une nouvelle offensive en direction du port pétrolier de Brega, sur le golfe de Syrte, dans l'Est du pays. Ils avanceraient prudemment de crainte des champs de mines aux abords de la ville située à 200 km au sud de Benghazi. Par ailleurs, une dépêche Reuters assure qu'un avion qatari a fait une brève escale samedi pour livrer des munitions aux insurgés à Misrata, à 200 km à l'Est de Tripoli. "L'avion a débarqué six camionnettes bourrées de munitions et a redécollé quelques minutes plus tard", a dit un témoin. Information confirmée par les responsables de l'aéroport de Misrata. A Tripoli, quoi qu'on dise, les rebelles armés contrôlent la situation davantage que les responsables politiques du Conseil national de transition (CNT), supposé être l'organe politique de la rébellion. Mais ne nous leurrons pas. Il n'ya guère d'affinités entre Mustapha Abdeljelil et Mahmoud Jibril, respectivement président et chef du bureau exécutif du Conseil national de transition (CNT), d'une part, et le chef du conseil militaire de Tripoli, Abdel Hakim Belhadj, de l'autre. Ce dernier est un ex-jihadiste et fondateur du Groupe islamique combattant de Libye (Gicl). Le CNT n'a guère d'autre choix que de composer avec ces éléments radicaux qui ont assuré l'encadrement de nombreuses brigades de commandement. Abdel Hakim Belhadj est un fin stratège doublé d'un redoutable chef de combats. Né en 1966, il a fait ses classes dans la nébuleuse Al Qaïda en Afghanistan, au Pakistan et dans 22 pays islamiques. Il a dirigé les féroces combats du Jebel Nefoussa à la victoire de Tripoli. Auteur du livre intitulé Le choc des révolutions arabes, l'universitaire Mathieu Guidère s'est exprimé à ce propos au Figaro. Il estime que les anciens jihadistes devraient rapidement exiger des changements au sein du CNT : "Il est clair que ces individus n'accepteront pas que des représentants de l'ancien régime, qu'ils ont combattus pendant des décennies, soient encore aux manettes. Il est fort probable que l'on voit disparaître toutes les figures de l'ancien régime, y compris celles qui ont rallié la Révolution". D'autres experts font valoir en revanche qu'Abdel Hakim Belhadj s'est distingué, depuis 2004, de condamner les activités d'Al-Qaïda. On comprend dès lors le pourquoi du retard manifeste de l'apparition victorieuse des dirigeants du CNT à Tripoli. Ils ont eu leurs heures de triomphe à Benghazi. Mais le topo est tel qu'un peu partout en Libye aujourd'hui, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Et ceux qui sont montés au charbon ne sont pas prêts de lâcher de sitôt leurs promontoires de conquérants.