Par Dr Mohamed Lakhder CHEBBI Aujourd'hui, la Tunisie joue non seulement son avenir, mais peut-être sa vie, voire son existence. Un gros risque l'attend. Tel celui de l'éclatement de sa destinée en plusieurs voies dont une redoutable comme ce sort peu enviable comparable à celui de la Somalie, destin auquel s'oriente presque fatalement notre voisine la Libye; si l'Occident y parvient, car il nous y pousse, ce sera la faillite de nos régions et l'implantation d'une barbarie sanglante parmi nous. Nos gouvernants ont dans cette phase historique une responsabilité terrible; beaucoup d'entre eux sont, et c'est un tracas supplémentaire, restés inféodés, corps et âme, à cette culture occidentale cruelle, la pire du monde, dans laquelle se sont forgées l'esprit colonialiste européen et l'arrogance esclavagiste de sa branche américaine. Monsieur le Premier ministre, depuis votre désignation, vos discours sont parfois pleins de menaces, votre langage, vos gestes accusent parfois en vous cette culture occidentale dont le despote Bourguiba louait à longueur d'onde (radio et télévision) la supériorité superficielle et la grandeur usurpée, s'honorant de réciter par cœur de longues tirades de poèmes de V. Hugo ! La honte suprême pour nos oreilles de Tunisiens. M. le Premier ministre, évitez de suivre cet homme qui a fait beaucoup de mal à la Tunisie, car vous risquez de nous rappeler ces moments d'une époque si désagréable dont vous aviez souffert vous-même durant certaines périodes de votre vie politique. Mission impossible, peut-être, mais ... Ce sont là des réactions à chaud, dites-vous ! Mais parmi vos déclarations récentes, très équivoques, certaines font craindre un durcissement troublant de votre part, notamment à propos de problèmes de justice et certains aspects de la politique sécuritaire en chargeant des manifestants pacifiques par un flot de jeunes ninjas que vous utilisez aussi pour encadrer vos déplacements ! Sont-ce là de bonnes manières de votre part, vous, le natif de Sidi Bou, haut lieu de l'élite mondaine et cultivée de notre pays ! S'il y a lieu de faire des gestes par votre gouvernement transitoire ou pas, c'est la pratique d'une feuille de route solide et ferme, clairement annoncée au début de chaque semaine, avec un organigramme précis des décisions à prendre dans la plus grande transparence, comme on le réclame maintenant, révolution oblige ! Vous avez choisi de naviguer à vue, c'était plausible durant le premier mois de votre prise en charge des affaires, mais inacceptable maintenant et interdit demain. Vous faire des reproches ? Non, en aucune façon; vous agissez au mieux selon vos convictions, mais probablement peut-être plus selon votre tempérament; on dit de vous que vous-êtes fougueux, très réactif, voire avec une forte pointe de revendication. Attitude normale et respectable de la part d'un haut responsable dans un pays calme, mais non possible dans une Tunisie, bouillonnante, tourmentée, explosive, orageuse, inquiète, bourrée d'angoisse et d'incertitudes d'où la réussite non seulement d'une grande prévisibilité pour parer promptement aux accès de fièvre de toutes sortes mais aussi pour mettre en place les moyens d'y faire face avec l'habileté et votre savoir-faire qui vous sont largement reconnus. Un pays rongé par la corruption Nos justiciers sont-ils craintifs, ont-ils peur du retour de manivelle ou sont-ils simplement timorés et incapables de faire le travail pour lequel on les paye ? Le ministère de la Justice est-il peu au fait des dégâts de la corruption dans notre pays soit par méconnaissance de la réalité soit plus grave par une volonté délibérée de ne pas agir. Dans le cas cité, vous avez réagi en juriste que vous êtes, alors qu'il fallait faire valoir la poigne du politique et l'autorité du stratège. Le 23 octobre, nous élirons une Assemblée constituante. La première s'est soldée par un fiasco mortel. La Tunisie d'aujourd'hui est dans le lot des pays qui ont le moins bénéficié des progrès humanitaires: régression morale totale, incivisme dégradé; sens démocratique douteux, une vie sociale déboussolée et notre culture, un vrai désastre ! Certains d'entre nous sont devenus, excusez le mot, crapuleux, escrocs, orduriers, bref mafieux; d'autres, peut-être la majorité sont incrédules, méfiants, peureux. Les partis politiques en formation se ressentent de la distance ou de la fuite de ceux auxquels ils s'adressent. Rares sont les partis qui n'ont pas reçu des jets de pierres ou des insultes lors de leur déplacement dans certcaines régions du pays. Monsieur le Premier ministre, jusqu'aux prochaines élections, vous restez le gardien de l'autorité, veillez à la sauvegarde du pays, soyez compréhensif face aux désordres inhérents, hélas ! à toute révolution. Ne vous raidissez pas, il y va du destin de la Tunisie. On vous juge actuellement plus nerveux, très sensible aux critiques, moins conciliant, plus ombrageux. Puis-je vous rassurer. Quelqu'un m'a dit récemment: «si Caïd Essebsi réussit à amener le pays à bon port, il passera comme le plus grand homme de la Tunisie» j'insiste «plus grand même que celui auquel on pense d'habitude» «oui, plus grand même que Bourguiba».