Les «connexions» entre sportifs et politique continuent de nourrir la polémique. Simple tendance, opportunisme ou phénomène appelé à durer? La révolution du 14-Janvier a fait sauter plusieurs tabous, dont le fossé séparant politique et sport. Ce dernier a été longtemps cantonné dans une ignorance totale de la chose politique et une existence apolitique fort accommodante. «Que l'on soit sportif, artiste ou autre chose, nous avons vécu plus de deux décennies en citoyens dégoûtés de la politique», rappelle Mehdi Ben Gharbia, président du Club Athlétique Bizertin, engagé en tant que tête de liste du PDP (Parti démocrate progressiste) à Bizerte. «Personnellement, j'ai payé cher le tribut de mon engagement contre l'ancien régime du temps où j'étais étudiant. Cela m'a coûté plusieurs brimades et arrestations et 5 ans de prison. Je ne me sens pas vraiment étranger à la vie politique, un intrus ou un opportuniste? Je n'ai pas, en fait, attendu la révolution pour exprimer une pensée et manifester mes convictions d'opposant politique», insiste-t-il. Cela n'est, certes, pas le cas de l'ancien gardien de but international de l'Espérance Sportive de Tunis, inscrit au 3e rang sur la liste de l'UPL (Union patriotique libre) dans la circonscription de Tunis 1 : «Les sportifs peuvent incontestablement apporter un plus, comme cela se fait à l'Assemblée populaire en Egypte. Pourquoi nos propres problèmes doivent-ils être résolus par les autres? Je ne crois pas que les sportifs engagés sur des listes de partis soient mus par l'ambition de briguer un poste de ministre, de gouverneur ou de délégué. Pourquoi ne verrait-on pas la question autrement en pensant que ces gens-là ont servi d'une certaine façon leur pays, ont défendu ses couleurs et vibré en écoutant l'hymne national retentir? Si tout le monde va s'amuser à fuir ses responsabilités, c'est à désespérer de l'avenir du pays», analyse-t-il. «Platini plus connu que Sartre» L'arrivée sur la scène politique des gens du sport a provoqué une levée de boucliers qui n'est pas sans étonner les premiers concernés‑: «Toute cette polémique pour tout juste sept cas de sportifs qui défendent une idée nouvelle. Ne serait-ce que dans le secteur du sport où il y a une véritable révolution à entreprendre. Pourtant, la crédibilité d'un sportif peut se révéler supérieure à beaucoup d'autres gens», insiste El Ouaer. Pour sa part, Mehdi Ben Gharbia va plus loin dans son analyse‑: «La réaction suscitée par le phénomène s'explique tout simplement par le fait qu'on a affaire à un sujet vendeur pour les médias. Mais tout sera jugé par la suite pour savoir s'il y a du vrai là-dedans ou s'il s'agit de simples marionnettes. Tout va dépendre de ce qu'ils vont pouvoir donner». Et le nouveau président cabiste, élu dans la foulée de la révolution de la liberté et de la dignité, d'appuyer par des exemples la thèse de l'apport précieux que peuvent assurer les sportifs‑: «Mustapha Abdeljelil, pas très loin de nous, le leader turc Erdogan… Mais plus généralement, les gens sacrifient à la mode‑: ils connaissent aujourd'hui davantage les footballeurs que les intellectuels et philosophes‑: en France, Michel Platini a davantage de notoriété chez les jeunes qu'un Jean-Paul Sartre, par exemple. Un philosophe qui a néanmoins écrit l'histoire. En Allemagne, Beckenbauer est mieux connu qu'un Goethe dont personne ne peut contester l'immense apport aux lettres. Pareil pour Rossi et Gramsci, en Italie». Tout en prévenant contre «la chasse aux sorcières qui risque de détruire le processus politique en cours», Ben Gharbia conclut en rappelant que «l'engagement de toute la classe politique a pour finalité d'empêcher que le pays puisse retomber un jour dans la répression et l'absence des libertés qui sévissaient». Chokri El Ouaer use, lui, de l'argument «d'un intérêt général qui guide son engagement politique». «Toutes ces énergies investies, ce temps sacrifié et les critiques essuyées un peu gratuitement : pourquoi se faire tant de peine si ce n'est pour servir notre pays», se défend-il. Dans le chapitre des «footeux qui se shootent à la politique», pour reprendre la formule d'un collègue, outre Mehdi Ben Gharbia et Chokri El Ouaer, il faut retenir les noms de Slaheddine Zahaf, ancien président du Club Sfaxien inscrit sur une liste indépendante, Mongi Bhar, ancien président du CSHammam-Lif, en tête de la liste du Parti de l'Initiative dans la circonscription de Ben Arous, Yassine Bouchaâla, l'attaquant du SGabésien et du Club Africain, en tête du Parti de la Justice et du Développement dans la circonscription de Sfax-Sud. Certains évoquent l'engagement de l'entraîneur du Club Africain dans la circonscription de Monastir et celui de Sabeur Ben Frej, l'ancien défenseur de l'Etoile du Sahel et du Mans, en France, au sein du Parti l'Initiative. Sept cas de sportifs sur des milliers de candidats aux 217 sièges de la Constituante: cela peut-il réellement faire peur ou indisposer?