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L'exemple chilien est intéressant à méditer Transition démocratique : 3Questions à : Jamil Sayah, enseignant en droit public à l'Université de Grenoble
1 — Quel est de votre point de vue la place de la réforme de la police dans la transition démocratique et quelles en sont les priorités ? L'Etat tunisien s'est engagé récemment dans un processus structurel de démocratisation. L'un des symboles, et des leviers, d'une transformation effective d'un régime autoritaire en un régime démocratique repose sur sa capacité à réformer sa police. L'enjeu d'une telle réforme est alors de faire passer cette dernière d'une culture de «police de régime», caractéristique d'un régime autoritaire, à une culture de «police démocratique», c'est-à-dire une police dont l'activité est orientée vers la lutte contre l'insécurité subie par les citoyens et non vers la lutte contre les ennemis du régime. C'est donc une police perçue par les citoyens comme la source de leur protection et non de leur oppression, ce qui suppose aussi qu'elle soit respectueuse des droits des individus. Elle passe nécessairement par une redéfinition des modalités de recrutement, une réforme de la formation (initiale et continue), une modification des statuts, une réorganisation des services et des missions, un renforcement de l'éthique professionnelle (élaboration d'un code de déontologie) et des dispositifs de contrôle (institutionnels et sociétaux) de l'activité policière, etc. Il ne s'agit donc pas simplement d'une réforme professionnelle (organisationnelle), mais aussi d'une réforme politique. 2 — Quel jugement portez-vous sur le déroulement du processus de transition ? Une période de transition, peu importe le contexte territorial où elle se déroule, est toujours porteuse de doutes et d'interrogations. La nôtre n'échappe, malheureusement, pas à la loi du genre. En effet, nos compatriotes s'interrogent légitimement sur la capacité du pouvoir actuel à les mener à bon port. Et une telle interrogation est d'autant plus légitime que, parfois, le pouvoir transitoire n'a cessé de multiplier ambiguïté actionnelle et confusion décisionnelle. Cependant, et malgré cette situation, nous pensons que notre pays a échappé non seulement à l'implosion, mais surtout à l'émiettement. Car le gouvernement et les institutions transitoires ont su, notamment dans les moments décisifs, faire preuve de responsabilité en montrant à notre peuple que son pays est gouverné. L'échéance du 23 octobre, date de l'élection de l'Assemblée constituante, constitue à cet égard une preuve éclatante que la page de la transition peut être tournée. Dès lors, c'est aux Tunisiens de transformer leur révolte du 14 janvier en une véritable révolution, en allant massivement déposer leurs bulletins de vote. 3 — Pensez-vous qu'il existe dans l'histoire récente des modèles de transition qu'on ne saurait ignorer ? Les exemples des peuples qui ont pu réussir leur mutation démocratique sont nombreux dans le monde. Outre l'Espagne, ont prend toujours comme exemple référentiel les pays de l'Est de l'Europe, qui ont bien négocié leur passage de l'ombre dictatoriale communiste à la lumière de la démocratie. Cependant, il me semble qu'il y a d'autres modèles, certes moins connus (par notre élite), mais qui peuvent être en meilleure adéquation avec notre pays. L'exemple chilien est à cet égard intéressant à méditer. En effet, ce pays a su en peu temps, non seulement mettre un terme à l'une des dictatures la plus horribles au monde, mais surtout construire rapidement un régime démocratique irréversible. Or quelles étaient les clés d'une telle réussite ? Elles sont à notre avis de trois ordres. Une élite responsable qui a su dès la chute du régime marier le court terme et le long terme, c'est-à-dire créer les conditions objectives de la compétition démocratique (les élections), mais également se doter d'un projet de société résolument moderne et ouvert sur le monde. Point d'archaïsme... à méditer ! D'autre part, et sans perdre son temps dans des discussions inutiles, le pays s'est engagé dans des réformes structurelles (police, justice) afin de s'arrimer à la marche de l'histoire. Enfin, gouvernants et gouvernés, par une démarche dialectique constructive, ont réussi à transformer le sentiment de vengeance qui les animait en une demande de justice, afin de tourner la page du passé sans souffrance ni frustration, pour pouvoir construire l'avenir.