Le premier festival "Musiques du Monde", à Dar Chérif, a tenu ses promesses. Durant cinq jours, du 28 septembre au 2 octobre, il nous a plongés dans le faste des musiques classique, (berbère), polyphonique (chants corses) et médiévale (Paolo Lova). Un succès. Départ fulgurant avec Pier Paolo Strona qui nous arrive de Turin. Pianiste au long parcours, sans répertoire précis, il a présenté deux programmes, l'un autour du thème de la valse, l'autre exclusivement classique. Ses préférences appuyées vont pour J.S Bach et Chopin. Au premier, avec son complice, le maestro Guido Donati, il a, d'ailleurs, consacré un ouvrage relatif aux Variations Goldberg revisitées à partir des théories modernes. La soirée de mercredi fut placée sous le thème de la valse, un voyage longuement préparé, une croisière de luxe, qui nous a emportés de Vienne, berceau de cette musique, au Venezuela, en passant par Paris, Rome pour prendre racine aux Etats-Unis où elle se transforme en d'autres mélodies. Elle nourrit le ragtime, le blues et le jazz. A cet endroit, Strona a aussi ses choix parmi lesquels Scott Joplin, compositeur prolifique, glorifié par des cinéastes qui ont exploité ses musiques dans des films, celle de L'Arnaque en est un exemple. Valses sous toutes les couleurs, suivies de morceaux exécutés en finesse de Chopin à qui il semble confesser ses secrets. Du bonheur. Le lendemain, échaudé par le charme des lieux, sur la terrasse du Centre Dar Chérif, donnant sur une mer sans vagues, Stroni, discret d'apparence, nous révèle une partie de son long parcours, diplôme de l'Académie philharmonique de Bologne, des concerts en Pologne, en Angleterre, son attachement aux Variations Goldberg "un monument de tous les temps, comme qui dirait la Divine Comédie de Dante, unique par sa complexité. Tout pianiste est sidéré par le développement, Bach l'a écrite pour lui-même, il l'a léguée à une association culturelle de Leipzig, plus d'un an de travail…". Passionné par ce chef-d'œuvre, Strona est intarissable, il évoque avec ardeur le nombre de notes, de variations, les grandes dates, les spécialistes et les grands interprètes de Bach. Au passage, on oubliera la soirée tunisienne du jeudi, animée par la troupe de Walid Gharbi, invité à présenter un programme spécifique avec pour instruments le r'bab qu'il maîtrise, le gombri, et les castagnettes. Au lieu de tout ça, il a préféré un orchestre avec violon, oûd, orgue, des percussions, des voix, un cajon, un bendir, bref, un mélange qui jure avec l'esprit du festival. C'est ainsi qu'on nous a servi ce qu'on redoutait : un cocktail de musique gnaouie, du malouf, de la variété, du chant, le tout exécuté laborieusement, en alternance et sans transition. Le résultat est confus, embrouillé. C'est dire s'il a bon dos le "world". Un choix précis, plus ramassé, aurait certainement attiré la bonne oreille de l'assistance. Erreur de programmation ? Vendredi, retour au piano de Strona, dans ses registres baroque, classique et romantique, une fugue de Bach, interprétée avec ferveur, une sonate et la célèbre Marche turque de Mozart, quatre Nocturnes dont le Posthume de Chopin et une sonate de Beethoven au programme. Autant dire de l'épicerie fine à goûter avec délectation et sans mesure. Les yeux mi-clos, concentré face à ses partitions, Strona embrasse son sujet avec simplicité, sans égarement, imposant ce silence léger qui donne à la vie une charge d'émotions inattendues.