• Les galeries et les artistes tunisiens en force. Marrakech-la-rouge bouillonnait littéralement le week-end dernier. La cité, créée, souvenez-vous en, par Zeïneb, la Kairouanaise, brûlait joyeusement tout ce qu'elle avait adoré et se jetait à corps perdu dans la nouveauté. Oubliés les orientalistes qui avaient fait sa gloire, déboulonnée de son socle, Majorelle qui l'a tant exaltée, ringardisés les peintres de chevalet qui en illustrèrent si bien les subtilités. La cité tout entière adore un nouveau dieu : l'art contemporain. Et comme tout ce qui se fait à Marrakech, elle le fait bien. A l'origine de cet engouement largement partagé et remarquablement fédérateur, un jeune couple : Zeïneb et Hicham Daoudi. Lui, il dirige la première maison de vente du Maroc, crée une galerie, inaugure une revue d'art consacrée au monde arabe (Diptyk). Il est même cité par le quotidien économique français Les Echos, parmi les «cent Grands de demain». Elle, elle l'accompagne avec discrétion, grâce et efficacité. A eux deux, ils montaient, l'an dernier, la première édition de "Marrakech Art Fair". Une identité et une spécificité A ce premier projet maghrébin, il fallait donner une identité, une spécificité, dans un contexte qui commence à être encombré. Marrakech offrait déjà un atout maître, par son emplacement stratégique, sa réputation mythique, le caractère international de ses habitants et l'engouement, jamais affaibli, pour cette destination. Pour le reste, les Daoudi proposent une foire conviviale, propice aux rencontres, tirant sa spécificité de son caractère international, permettant de découvrir des scènes artistiques de différentes régions : le Maghreb qui, jusque-là, n'avait pas trouvé de plateforme pour le représenter, mais aussi l'Afrique, l'Occident ou le Moyen-Orient Une première édition en 2010 attirait une vingtaine de galeries, et permettait de mettre en évidence l'émergence d'un marché de l'art au Maroc. Car les Marocains, par nationalisme peut-être, ne s'intéressaient et ne connaissaient que les artistes contemporains marocains. Cette première foire, soutenue par des expositions d'artistes étrangers, allait ouvrir ce marché. Focus vidéo et photo Pour la deuxième édition, on allait affiner le concept. Et si les vingt premières galeries sont toutes revenues, elles ont été rejointes par une trentaine d'autres. C'est ainsi que l'on pouvait voir, à Marrakech, aux côtés des galeries marocaines, sept galeries turques — la Turquie étant l'invité d'honneur du salon —, mais pas moins de cinq galeries tunisiennes qui, à elles toutes, offraient un panorama complet de l'art contemporain en Tunisie, des galeries françaises, italiennes, américaines, émiraties, saoudiennes, russes. Une priorité était donnée à cette foire : la photo et la vidéo. Elle en a constitué le thème aussi. «Une bonne foire doit surprendre son public. Il faut pouvoir lui montrer des choses auxquelles il ne s'attend pas», affirme Hicham Daoudi. Ces choses auxquelles il ne s'attend pas, c'était justement la vidéo sur laquelle Marrakech faisait un focus. Isabelle et Jean Conrad Lemaître, nouveaux Médicis de la jeune création, qui offraient généreusement la visite de leurs collections, célèbres dans la monde de l'art contemporain, aux participants de Marrakech Art Fair, déclaraient à ce propos: «La vidéo, c'est la peinture du XXIe siècle». Et si on retrouvait ces deux médias à travers de nombreuses galeries dans le salon, c'est également à la photo et à la vidéo que Brahim Alaoui, l'ancien directeur de l'IMA, et actuel commissaire des plus grandes manifestations artistiques arabes, consacrait son exposition «Images Affranchies», Place Jemaâ El Fna Off Off Marrakech Puisque l'art contemporain avait conquis toute la ville et débordait largement le salon, les collectionneurs ouvraient leurs maisons et les galeristes montaient des expositions parallèles. Ceux dont les galeries sont à Casablanca ou ailleurs, investissaient des suites dans des hôtels qui proposaient, eux-mêmes, des expositions. Les golfs organisaient des circuits artys. L'ambassadeur de France recevait au consulat de Marrakech, et l'on en profitait pour admirer les superbes Majorelles de la collection. Et tout le monde courait assister aux débats et autres tables rondes organisés sur les problématiques les plus actuelles de l'art arabe, sa visualité, l'impact des révolutions… Là, ceux qui avaient résisté aux charmes de Marrakech, et ils étaient nombreux, rencontraient les plus grands critiques et historiens de l'art, les artistes, les galeristes, les curators, les conseillers artistiques, ce métier que nous ne connaissons pas encore. Et puis étaient présents Catherine Grenier, directeur du Centre Pompidou qui inaugure une nouvelle politique d'acquisitions d'art arabe, Jennifer Flay, directrice de la Fiac à Paris, Jérôme Sans, fondateur du Palais de Tokyo, Rosa Sandretto, membre du conseil d'administration du Moma, Carlos Urroz, directeur de la foire de l'Arco à Madrid… Les galeries tunisiennes en force C'est dire que tout le gratin de l'art contemporain était réuni et que c'est là que se dessinait la nouvelle géographie du marché de l'art arabe. Nos galeristes tunisiens l'ont bien compris et sont allés en force, représenter l'art contemporain tunisien. Cinq galeries (Ammar-Farhat, Kanvas, La Marsa, VB Contemporain et Le Violon Bleu) exposaient en bonne place. Et si les quatre premières représentaient, à elles toutes, une sélection intelligente et représentative du panorama de l'art en Tunisie, la dernière, le Violon Bleu, qui était la seule à avoir déjà exposé à Marrakech, rendait hommage à un artiste marocain. Et si la Turquie était l'invitée d'honneur de ce salon, constituant le dernier engouement des collectionneurs, la Tunisie se taillait une bonne place et certains artistes tunisiens, comme Meryem Bouderbala et Nicène Kossentini étaient également représentées dans d'autres galeries ou expositions internationales. Des fondations et des collectionneurs marocains , mais aussi étrangers, s'intéressaient à leur travail Plateforme d'échanges entre marchands, artistes, collectionneurs et amateurs d'art, Marrakech n'est pas seulement un lieu où l'on vient vendre et acheter, mais aussi apprendre. C'est également, et surtout, la plus belle scène offerte jusque-là aux plasticiens maghrébins.