Par Soufiane Ben Farhat Nous attendions ce jour depuis longtemps, très longtemps. Depuis qu'en cette brumeuse journée du 9 avril 1938, des Tunisiens sont tombés au champ d'honneur en réclamant un Parlement tunisien libre et souverain. La répression des autorités coloniales françaises fut sanglante. De dures années de traversée du désert et de lutte s'ensuivirent. Puis vint l'indépendance, en 1956. Des dizaines d'élections parlementaires furent organisées. Sans pour autant honorer l'esprit et le souffle des martyrs de 1938. Et encore moins leur testament. La bataille fut toujours confisquée et les enjeux faussés. Les martyrs se retournèrent dans leur tombe. Et les lourdes cendres demeurèrent vivaces. Insoutenables. Lancinantes. Comme un persistant appel venant du fond des âges. Un legs encombrant pour des générations alternant la radicale impuissance à l'amer arrière-goût de cuisante défaite. C'est dire la nature de l'enjeu. Aujourd'hui, ici et maintenant. Le lit historique desséché réclame le fleuve détourné. La Révolution du 14 janvier 2011 a imposé son agenda. On remet tout à plat. Et l'on reprend là où on aurait dû commencer convenablement. Retour à la case Constituante. L'ancienne Loi fondamentale avait été foulée aux pieds. Dénaturée. Tellement déstructurée qu'elle a fini par devenir une armure pour tyran. On ne retape point une maison qui s'effondre, un bâtiment menaçant ruine. La nécessité historique sourde s'est frayé un passage obligé. Dans l'entrelacs et à travers les interstices des faits, les entrechocs des caractères et des passions. Elle a imposé ce que personne n'avait sereinement prévu. Cette révolution fut profane, mais sans totem, catéchisme ou gourou. Elle nous invite à voir grand dans l'immensité du possible. Aujourd'hui, l'avenir se joue dans les urnes libres et souveraines. Le peuple devrait s'exprimer directement. Sans intermédiaires, ni fioritures. Vox populi vox dei. D'une certaine manière, le peuple pétrit sa propre genèse. Il est l'alpha et l'omega, le principe et la fin. L'on ne peut qu'exhorter les Tunisiens à aller voter. Sans modération. Massivement. Les plus jeunes surtout. Parce que le cycle du Printemps arabe ouvert à Tunis est, par essence et vocation, révolution. Révolution de la jeunesse. De la liberté et de la dignité aussi. C'est-à-dire de l'éternelle fraîcheur des états d'âme avec, en sus, l'inépuisable vitalité de la jeunesse. Parce qu'également, plus les gens votent, plus ils mettent en pièces les scabreux desseins des faussaires et faux-monnayeurs de la démocratie. Et ces derniers sont à l'affût, on s'en doute. Tapis entre l'écume et la crème. Et puis, nous dira-t-on, il y a tellement de partis, d'indépendants, de coalitions, de courants, de sensibilités et d'obédiences en lice. Pour qui voter ? Je suis personnellement assailli par de telles questions des dizaines de fois par jour. Ma réponse est une, certaine, claire, nette et précise : votez pour la Tunisie. Y aurait-il d'aventure parti plus noble, plus précieux, plus rassembleur ? On ne le dira jamais assez. Les destinées des nations s'offrent par moments aux mains du peuple en des moments privilégiés de l'histoire. Suffit-il que les peuples ne saisissent pas l'opportunité historique pour qu'ils en paient le lourd tribut de longues périodes durant. Nous en avons, hélas, dressé l'amer et douloureux constat à nos dépens. Aujourd'hui, il nous appartient tous de nous élever à l'intelligence du moment historique. Tous pour la Tunisie et la Tunisie pour tous. Aux urnes citoyens !