Une fierté générale, des taux de participation exceptionnels et un civisme à toute épreuve, malgré les quelques tentatives de pression sur les électeurs au moment du vote donnent le ton de l'ambiance générale du scrutin dans la ville par laquelle le miracle de la Révolution est arrivé. « Personne ne votera à Sidi Bouzid» Les menaces proférées samedi soir, la veille du scrutin du 23 octobre, par l'indépendant Mokhtar Mansri, tête de liste de « Massir Al Ahrar » (voir notre reportage d'hier), n'auront finalement point perturbé le déroulement des élections toute la journée du dimanche. Dans la ville démunie, enclavée mais toujours très digne du centre-ouest tunisien, berceau du soulèvement populaire qui a fait tomber le régime de Ben Ali et éclater les révolutions arabes à la suite de l'immolation par le feu du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, les taux de participation aux élections de l'Assemblée constituante auront enregistré des records. Entre 60 et 70 % dans les zones urbaines, selon les estimations des directeurs des bureaux de vote, trois heures avant la fermeture des urnes. Et jusqu'à 90% dans les régions rurales, où les petites écoles primaires de Sondough, Saddaguiya, Al Brij situées sur des routes agricoles poussiéreuses dans un rayon de quinze kilomètres autour du siège du gouvernorat attendaient sous un soleil de plomb vers 14h00 leurs derniers votants. « Si je ne vote pas, je me suicide » Rien à voir avec l'encombrement des écoles de l'avenue de la République ou de Farhat-Hached à Sidi Bouzid, prêtes à accueillir dès sept heures du matin la première 2 300 citoyens et la seconde 3 000 autres parés de leurs plus beaux atours, accompagnés de leurs enfants et munis d'appareils photo. «On lit sur les visages des Tunisiens de tous âges et toutes catégories sociales confondues une fierté et l'orgueil d'aller enfin voter librement», souligne Ruzziti Domenico Luigi, de l'Association pour la paix, un observateur italien indépendant. Certains, dissuadés à la vue des longues files d'attente serpentines pourtant calmes et étonnamment bien ordonnées, préféreront revenir plus tard dans l'après-midi. Ce n'était pas le cas de ce citoyen venu voter à l'école de l'avenue de la République et qui menaça devant les nombreux observateurs de tous types présents dans la salle, les représentants des partis, les observateurs nationaux et internationaux et les journalistes, de devenir le énième martyr de la ville et de se suicider si on l'empêchait de voter. Handicapé de la jambe, il voulait en fait se faire aider par sa femme pour remplir le bulletin. Refus catégorique du chef de bureau, qui négocie avec lui un compromis : pour l'impartialité de la démarche, il déléguera un citoyen pris au hasard de la file pour lui faciliter la tâche. Ni non plus de cette vieille petite dame toute tremblotante aux tempes brûlées par le soleil et qui cherchait depuis un bon bout de temps dans la foule qui pourrait lui indiquer « la salle réservée au vote pour Hechmi El Hamdi » ! Hichem Dali, instituteur et président de l'association Karama (Dignité), qui regroupe la majorité des diplômés chômeurs de la ville, est rassuré à l'idée que tout le monde veille sur tout le monde à Sidi Bouzid. «Des tentatives de fraudes ? Il n'y en aura pas beaucoup». Il sait pourtant que si les discours populistes ne trouvent pas d'échos chez les jeunes, il n'en est pas de même pour les populations rurales et vieillissantes que les vendeurs de rêves peuvent facilement emporter dans leurs mondes. A part un seul bureau à El Brij, à huit kilomètres du chef lieu, où nous avons remarqué fraîchement collées sur la porte d'entrée des bouts de papiers incitant les gens à voter pour le Parti du travail, rien à signaler à travers notre tour d'horizon des multiples centres concernant des dépassements flagrants d'une bonne conduite électorale. Les informations non vérifiées et les rumeurs vont par contre bon train. Pour le journaliste, qui écoute les doléances des partis, le risque de la manipulation est grand. Info ou intox ? Besoin de justice ou stratégie d'affaiblissement de ses concurrents ?