• L'assistance exprime ses craintes pour l'avenir de la femme, de son statut et ses acquis et appelle à faire preuve de vigilance «Le genre en Tunisie depuis le 14 janvier 2011» : tel est le thème autour duquel s'est articulé le débat de la table ronde organisée hier par la Coopération allemande pour le développement en Tunisie (GTZ). Le choix du thème s'avère judicieux, notamment dans un pays qui se présente depuis des décennies comme un défenseur de la cause de la femme, qui connaît une législation progressiste en matière de promotion des droits de la femme et qui se trouve, actuellement, à la croisée des chemins, entre une optique peu rassurante et une volonté de sauvegarder, voire de consolider les acquis de la femme et de les appliquer dûment. Ouvrant la rencontre, M. Raine Krishel, directeur-résident de la GTZ en Tunisie, a fait part de l'intérêt que porte l'organisation qu'il dirige à la transition démocratique dans notre pays, pour les grandes mutations à la fois politiques, sociales et juridiques qui s'y déroulent. A ce propos, la GTZ a proposé une étude post-révolutionnaire évaluatrice, dont les résultats pourront servir de base de données pour les prochains programmes de la coopération. La table ronde a permis à l'assistance de traiter ce problème du point de vue informatif, associatif et politique. L'étude a été menée par Mme Dorra Mahfoudh Draoui, sociologue à l'université de Tunis. Elle consiste en l'analyse de l'état des lieux de la question du genre, sur le plan social, économique et politique... Une analyse qui s'attarde sur la période pré-révolutionnaire. D'emblée, l'oratrice a défini la question du genre en tant que rapport social, contextualisé, qui varie selon le temps et l'espace, et qui vise à définir le rôle des genres. «Il ne s'agit, donc, point de faire la différence entre l'homme, d'un côté, et la femme, de l'autre», souligne Mme Mahfoudh. En Tunisie, la thématique du genre comprend beaucoup de points positifs et des points de défaillances non moindres. Selon le rapport du Pnud sur le développement pour l'année 2010, et qui traite du problème de l'iniquité entre les genres dans 138 pays, la Tunisie occupe la 56e place, ce qui la place dans une position nettement en avance par rapport à maints pays arabes. Le Maroc, à titre indicatif, occupe la 104e place... Certes, mais cela n'exclut pas une certaine discrimination sexiste infligée, et parfois même consentie, par la femme elle-même. Les chômeuses sont plus nombreuses que les chômeurs Sur le plan économique, l'activité féminine demeure nettement inférieure à celle des hommes. Son taux de progression est limité puisque de 23 % en 1994, il n'est passé qu'à 27 % en 2010. Les femmes sont plus touchées par le problème du chômage que les hommes : le taux de chômage féminin est de 18,8%, contre 12,1% pour la gent masculine. Pis encore : les femmes sont plus exposées au chômage une fois diplômées : 28,6% pour elles contre 13,6% pour les hommes. Elles ne représentent que 15,2 % des postes de directeurs. Pourtant, la femme ne cesse de prouver ses mérites. En effet, les chiffres montrent que 70 % des étudiants sont des femmes. Dans le domaine de l'entrepreneuriat, les femmes chefs d'entreprise sont au nombre de 18 mille. La plupart d'entre elles chapeautent des petites entreprises. Mais 40% d'entre elles n'utilisent pas Internet... Celles qui s'imposent sur le marché local ont un profil bien déterminé : elles sont généralement jeunes, indépendantes financièrement et hautement qualifiées. Sur le plan financier, l'inégalité salariale entre les genres est moins flagrante en Tunisie qu'ailleurs. Les femmes reçoivent 67,7% du salaire moyen national. Toutefois, 8 femmes sur dix sont payées moins que le Smig. Par ailleurs, l'accès à la propriété notamment en milieu rural n'est pas évident. La plupart des femmes préfèrent sacrifier leur droit à l'héritage au profit d'une protection familiale, ou masculine. De même, seules 6,4% des femmes sont exploitantes agricoles. Dans les ménages, la propriété revient à l'homme dans 85 % des cas. Mme Mahfoudh analyse, par ailleurs, la présence de la femme à l'échelle politique. Avant la révolution, les femmes étaient déjà minoritaires, avec une présence moyenne de 20%. Puis ce taux est passé à 30%, dans une recherche visant à instaurer le principe de parité. Mais cet objectif est demeuré hors d'atteinte puisque même les femmes préfèrent souvent voter pour les hommes. Sexisme persistant Après la révolution, et dans un contexte de confusion, de fragilité mais aussi d'opportunités, l'inégalité des genres a persisté. Mme Mahfoudh prend l'exemple de l'Isie qui ne compte que deux femmes sur 16 personnes. Pis encore : seulement 7% des têtes de listes électorales sont féminines. Dans les médias, la marginalisation des femmes politiques est palpable. Dans les débats, le temps de parole accordé à la gent féminine varie entre 2% et 10%. L'oratrice ne manque pas de mettre le doigt sur l'un des obstacles majeurs à l'égalité des genres, à savoir le consentement plus ou moins conscient des femmes face à cette injustice. En effet, 26,7% des femmes chômeuses ne cherchent même pas à intégrer la vie active. Autre injustice envers les femmes : la violence du genre touche de près la société tunisienne, puisqu'une femme sur quatre avoue être une femme battue. Le débat a permis de lever le voile sur un aspect désormais crucial dans l'équité entre les genres, à savoir l'avenir de la femme tunisienne. L'assistance n'a pas hésité à exprimer ses craintes pour les acquis et pour le statut de la femme en Tunisie ; une crainte qui, loin de susciter la passivité, incite l'assistance à redoubler de vigilance et à veiller sur la protection de l'identité des femmes et la préservation des acquis. L'assistance s'est également interrogée sur la place qu'occupe désormais la femme dans un tissu associatif en perpétuelle évolution. La nécessité de responsabiliser la masse sur les acquis à préserver compte également parmi les préoccupations de l'assistance.