Les médias nationaux ont-ils réussi à assurer une couverture du processus électoral couronné par l'élection de l'Assemblée nationale constituante le 23 octobre dernier, conforme ou fidèle aux standards en vigueur dans les pays démocratiques ? La presse nationale, tous genres confondus, a-t-elle joué, à la régulière, c'est-à-dire impartialement et professionnellement, le rôle qui lui est dévolu lors de la dynamique électorale qu'a connue la Tunisie, du 1er juillet, date du démarrage de l'inscription sur les listes électorales, jusqu'au 23 octobre 2011, jour du scrutin ? Dans la foulée des différents rapports diffusés par les nombreuses missions d'observateurs nationaux et étrangers ayant suivi les élections de la Constituante, le bilan dressé par la coalition des ONG pour la transition démocratique semble mitigé. Celui-ci oscille en effet entre les points positifs réalisés par la presse nationale, d'une part, et les limites et les manquements qui ont caractérisé, d'autre part, le traitement médiatique qu'elle a consacré à cet événement historique. Les élections de la Constituante demeurent au centre de leurs préoccupations d'autant plus qu'ils attendent avec impatience l'élection du prochain président de la République et la désignation du futur Premier ministre ou président du Conseil des ministres (les appellations seront arrêtées prochainement par l'Assemblée nationale constituante dans le cadre du prochain décret-loi organisant temporairement les pouvoirs). Hier, la coalition a invité bon nombre de journalistes, de représentants des organisations et associations de la société civile pour un dialogue qui s'est déroulé au siège de l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (Inric) et qui, pour la première fois, a donné la parole aux journalistes dont l'apport, la production et la couverture ont été scrutés, suivis à la loupe, analysés quantitativement et qualitativement par «des spécialistes de tous bords» et consignés dans plusieurs rapports qui témoigneront pour l'histoire de ce que les journalistes de l'après-14 janvier 2011 ont fait des premières élections libres, transparentes et démocratiques qu'a vécues la Tunisie depuis son accession à l'indépendance en 1956. Une fois n'est pas coutume, les chevaliers de la plume, les faiseurs d'images et les journalistes de la radio ont eu la chance d'être écoutés, parfois appréciés, et même félicités par les critiques, les spécialistes, les analystes qui ont toujours traité «la matière journalistiquement», froidement ou scientifiquement, comme ils disent, sans se soucier des conditions dans lesquelles les médias fonctionnent et sans même accorder la moindre attention à ces hommes et ces femmes qui produisent l'information rêvée par les uns et honnie par les autres. Des prémices encourageantes, des manquements à éviter Pour revenir au rapport de la coalition contenant les conclusions préliminaires de l'opération monitoring des médias, présenté en détail par la coordinatrice générale, Sana Ben Achour, ex-présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates, il faut relever que la mission d'observation a concerné 15 médias. 7 titres de la presse nationale quotidienne dont notre journal La Presse, quatre chaînes de télévision et 4 radios (deux de service public et deux privées). Il apparaît ainsi, d'après les observations assurées par 35 jeunes formés sur le tas, que le bilan peut être considéré comme «un bilan encourageant», et ce, à la base des conclusions auxquelles sont parvenus les rédacteurs du rapport. Ces derniers ont, en effet, dégagé dans la couverture médiatique du processus électoral les indicateurs suivants: «Un vent de liberté, une certaine distance par rapport à l'activité gouvernementale, un sens critique nouveau, une couverture tenant compte du pluralisme nouveau, des débats politiques soutenus, une ouverture à l'opinion, une volonté d'apporter l'information politique (des informations pratiques destinées aux électeurs non initiés) et une neutralité sauf exception (matérialisée notamment par les commentaires comportant une position ou un alignement). Et à l'instar de tout rapport qui se respecte, la coalition n'a pas manqué d'introduire ce qu'elle appelle les «limites et les manquements». Dans ce chapitre, on découvre que nos télévisions radios et quotidiens ont «sous-médiatisé les femmes, actrices politiques, ont manqué à l'interdiction de la publicité politique et à la journée du silence, se sont appuyés sur des sources peu fiables ou non affichées, parfois même sur la rumeur». Et le rapport de préciser encore : «Quelques discours diffamatoires se sont glissés dans la couverture médiatique, des erreurs professionnelles ont été commises (confusion entre les noms et les photos ou même les événements) et enfin l'apparition d'un style toutà fait corrosif». Y a-t-il un discours médiatique neutre ? Sans remettre en question les conclusions que propose le rapport de la coalition et sans reprocher à ses observateurs le fait qu'ils ont travaillé en vase clos, les participants au débat général se sont intéressés notamment à la question de savoir «s'il y a réellement un discours médiatique indépendant», ou de découvrir «s'il y a une volonté de manipulation du citoyen par le sensationnel et du voyeurisme». D'autres ont posé la question de l'éducation à l'image, devenue une discipline à part entière dans plusieurs pays développés. Certains se sont demandé comment les journalistes qui sortent d'une longue période d'hibernation et d'empêchement d'exercer leur métier normalement peuvent-ils se mettre au diapason du professionnalisme. Une question demeure d'une actualité permanente: y a-t-il une recette à importer pour que les journalistes réussissent le tour de réunir neutralité, professionnalisme, accompagnement positif de la transition démocratique et production d'articles rentables politiquement et financièrement ? Le débat reste ouvert, les futurs rapports y répondront. Peut-être.