Par Dr Mohamed Ali BOUHADIBA Depuis quelques jours, on voit se multiplier de petites phrases assassines à l'égard de la France, ce pays ne comprendrait plus le monde arabe, il utiliserait des méthodes colonialistes et même renouerait avec le racisme d'Etat. Stupeur des observateurs, pourquoi s'engagerait-on dans une confrontation sans raison valable ? La cause du courroux serait une phrase attribuée à Hubert Vedrine, ancien ministre, qui posait la question d'exporter la démocratie occidentale en Tunisie. M. Vedrine, pour autant que l'on sache, n'est qu'un ministre à la retraite qui s'occupe de l'Institut François Mitterand, un institut commémoratif. Il n'est nullement la voix officielle de la France et ses commentaires n'engagent que lui. En outre, a t-on oublié que le même monsieur Vedrine disait il y a à peine quelques mois : «Vouloir imposer de toute pièce notre régime démocratique est une demande qui aboutit immanquablement à l'inverse du but recherché». Il est aussi étrange d'imaginer que la France ne comprendrait ni le monde arabe ni l'Islam, lorsqu'on sait que la première chaire d'études islamiques est apparue à la Sorbonne au13e siècle, que la première chaire d'études de langue arabe a vu le jour à Paris au 16e siècle et qu'au 17e siècle, le roi de France ordonna la création d'une imprimerie française en langue arabe. La politique arabe de la France n'est pas nouvelle, Charlemagne avait déjà fait alliance avec Haroun Al Rashid contre les Byzantins. L'histoire est pleine d'échanges entre la France et le monde arabe, mais c'est De Gaulle qui en avait fait l'axe de sa politique étrangère déclarant : « Tout nous commande de reparaître dans le monde arabe en amis et en coopérants ». Depuis, tous les présidents français n'ont eu de cesse que de renforcer cette relation privilégiée. La France, aujourd'hui, est le seul pays qui a une politique arabe pure et c'est le plus actif. Cette politique est la constante la plus ancienne de la politique française, elle est basée sur l'indépendance mutuelle au contraire de l'Amérique qui, jusqu'à l'arrivée d'Obama, avait toujours cherché à affaiblir et diviser le monde arabe au profit d'un axe turco- israélien. Aujourd'hui nos valeurs en Tunisie sont des valeurs de démocratie, de liberté et de droits de l'Homme, ces valeurs d'où viennent-elles ? D'Europe et plus particulièrement de France, il n' y a pas de problème à le reconnaître puisqu'aujourd'hui ces valeurs sont universelles. Penser que nous sommes importants pour la France c'est probablement vrai mais pas pour les raisons communément avancées. L'ère de la géostratégie est révolue depuis que les porte-avions, véritables villes flottantes, peuvent transporter des armées entières à l'autre bout de la planète et que le rayon d'action des avions modernes leur permettent de bombarder à des milliers de km et d'être à l'heure pour un déjeuner en famille. Nos échanges économiques avec la France représentent plus de 50% de notre commerce avec l'étranger, mais si l'on considère l'inverse c'est beaucoup moins significatif. Nous sommes amis de la France et s' il y a des appréhensions c'est qu'il y a quelque chose qui dérange notre partenaire; à nous de rassurer les Français. Après tout, depuis le début de notre révolution les Français n'ont fait que nous aider sans rien demander en échange. La mauvaise attitude de Michelle Alliot Marie s'est terminée par sa démission forcée, une marque de considération envers notre pays. Les propos déplacés de l'ambassadeur Boillon avait donné lieu à des excuses publiques, alors que demander de plus? Notre pays est encore fragile, nous avons besoin de l'aide de tous nos amis. Ce n'est pas le moment des polémiques d'amour- propre ou des démonstrations tiers-mondistes viriles car cette grande amie qu'est la France pourrait se détourner de nous comme une amoureuse déçue. Que ferions-nous alors? Pourrions-nous nous permettre moins d'investissements, moins de touristes et plus de chômage? Nous sommes des pays amis, des partenaires privilégiés mais c'est comme dans les vieux couples, il faut toujours réessayer de séduire l'autre.