Voilà un énième film sur et autour de la révolution, c'est ce qu'on s'est dit en nous rendant à la projection de presse, jeudi dernier à la salle Amilcar (El Manar), du dernier documentaire d'Elyès Baccar Rouge parole. Mais on a fini par se rendre compte (dès les premières séquences) que le réalisateur ne s'est pas contenté de prendre le train (du propos) en marche en adaptant, un tant soit peu, sa caméra aux événements comme ce fut le cas dans certains documentaires post-14 janvier et qui relèvent plus de l'archivage historique ou peut-être même du reportage journalistique que du documentaire. Il y a, certes, beaucoup d'investigation, une présence sur le terrain, à Tunis, Sidi Bouzid, Thala, Kasserine, Rdayef et Kerkennah, mais on ne se contente pas de faire dans le «reporting» de situations mais plutôt dans la mise en portrait, voire dans la mise en scène. Le propos ne fait pas dans la simple figuration mais plutôt et surtout dans l'émotion. Et de l'émotion il y en avait dans ce film, distillée par des moments de narration forts et qui font qu'un sourire peut vite prendre de court les petites larmes pas encore séchées sur les joues. Beaucoup d'émotion rejaillit aussi par le seul fait de revivre, autrement, ces moments et de se dire qu'il ne faut jamais oublier. Comment pourrait-on oublier le fameux discours du 13 janvier de Ben Ali, que le réalisateur présente en prélude du film. Ses paroles retentissant dans tout Tunis, parlant aux morts du Jellaz à ceux qui venaient de les rejoindre durant les semaines de révolte réprimée dans le sang, pour leur dire qu'il les avait compris. Parlant aux mort-vivants qui se sont tus pendant plus de 23 ans et qui commencent à apprendre à vivre. D'ailleurs, la métaphore autour de la dualité de la vie et de la mort alimente le propos du film. La mort représentée par les dictateurs, les martyrs et la vie par tous ces révoltés, jeunes ou moins jeunes qui aspirent à une meilleure existence. Elyes Baccar est allé chasser de l'image pour retracer, dans la première partie du film (94mn), l'enchaînement effréné des événements depuis le 14 janvier 2011, entre les tueries des snipers, la mise en place des comités de quartiers, les manifestations et les sit-in quotidiens, les plateaux télé improvisés, la vente de livres jadis censurés, les salles de rédaction de journaux en ébullition et les artistes révoltés. En somme, des Tunisiens en devenir et qui, avec mea culpa, accueillent ou participent à ces changements dans une hystérie collective. La deuxième partie peint à travers les paroles, des portraits de rappeurs, de blogueurs, de cyber activistes, de syndicalistes, d'ouvriers, de parents et amis de martyrs ainsi que ceux de jeunes utopistes qui ont fait les deux sit-in de la Kasbah et qui continuent à résister. Des portraits et des paroles saisis de cette mère qui a perdu son fils bien avant la révolte et qui retrace sa rencontre avec Ben Ali, de ce témoin qui pleure un jeune martyr qui a trouvé la mort par cause de manque de secours appropriés ou tout simplement le regard de ce petit garçon qui vit ces moments et qui nous dit que la relève sera assurée et que demain sera mieux fait. Rouge parole vient nous rappeler que dans ces chamboulements, les cœurs continuent à battre au rythme de l'espoir et que la vie demeure à nos trousses nous rappelant, sans cesse, que c'est à nous de la saisir. Rouge parole, co-produit par Gaia Production (Tunisie), Doha Film Institute (Qatar) et Akka Film (Suisse), sortira dans les salles commerciales, à partir du 4 janvier. A voir absolument!