L'unique pièce jordanienne Juste la fin du monde dans la sélection de cette 15e session des Journées théâtrales de Carthage était attendue par un public nombreux. Des spectateurs avertis composés de professionnels, d'étudiants de l'ISAD, d'amateurs et d'autres curieux se sont déplacés en masse, lundi dernier, pour assister à la première représentation de la pièce au 4e Art. Le synopsis parlait du retour de Louis au bercail après de longues années d'absence pour annoncer sa mort prochaine. Au lieu de l'écouter chacun des autres personnages, sa sœur Suzanne, son frère Antoine Catherine, se lance dans le récit de sa propre vie. A la fin de la journée, Louis repart avec le fardeau de son secret, il n'a rien divulgué à sa famille. Le texte est une traduction de Marie Elyas et une adaptation sur scène de Nabil El Khatib de l'œuvre Juste la fin du monde de l'auteur classique contemporain Jean-Luc Lagarce. Plus de 20 minutes de retard avant l'ouverture des portes da la salle, le temps de s'installer et de se familiariser avec le décor de Tawfik Al Rawajtef : une énorme porte plantée dans une façade suggérée (celle de la demeure familiale) annonçant un soupçon d'intérieur composé d'une structure métallique d'un étage (la chambre de Suzanne), d'un coin bar et du fameux banc public que l'on a assez vu et revu sur scène! Les comédiens étaient déjà installés chacun dans son coin lorsque Zaid Khalil Mostafa (Louis) entre en scène. L'intrigue se passe un dimanche, Louis retrouve sa famille après des années d'absence. Les autres ne l'écoutent pas et l'accablent à coup de palabres et de reproches. Et voilà que ça crie à ne plus distinguer les mots, ça gesticule dans tous les sens et toujours ce banc pour dire que Louis n'est pas vraiment chez lui, toujours à errer dans la cité, pour signifier aussi, peut-être, qu'il est étranger chez lui. La pièce est une allégorie de la société moderne, une société faite de simulacres d'humains. Un pour tous et chacun pour soi, nous dit Lagarce et ses personnages, interprétés ici, dans cette adaptation jordanienne , par Mouna Moussa (Suzanne), Hanin El Ouali (Katrin), Moussa Al Satri (Antoine) et Zaid Khalil Mostafa (Louis). Malheureusement, l'originalité de la syntaxe qui fait la richesse des textes de Lagarce a été, un peu, perdue, remplacée par un mélange de dialectes avec l'arabe classique, un peu d'anglais, et ce n'est aucunement les quelques morts prononcés en dialecte tunisien (sorte de clin d'œil) qui ont, certes, réjouis le public, qui ont maintenu cette originalité. Le jeu un peu trop maniéré, surtout de Hanin El Ouali virant au sur-jeu, n'est pas toujours passé et l'interprétation générale est demeuré un peu statique, voire mimétique et illustratrice. Les trois personnages qui ont étouffé Louis par leurs discours nous ont rappelé, à un certain moment, les trois singes de la sagesse. Difficile, en même temps, d'échapper à l'analogie lorsque que les comédiens miment la maxime picturale : «Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal» en se couvrant l'un les yeux, l'autre la bouche et l'autre encore les oreilles! Voilà, il faut le dire, on n'a pas été très convaincu, malgré la bonne foi scénique des comédiens et leurs performances qui restent à applaudir, par cette proposition et à l'instar d'un Louis frustré de ne pas avoir pu (ou peut-être voulu) annoncer l'imminence de sa mort, l'on est rentré bredouille traînant une faim inassouvie. Le pauvre public des JTC toujours fidèle malgré les innombrables déceptions et autres maladresses (organisation, sélection, qualité) a cru bon de se réfugier dans les créations étrangères (pas toujours convaincantes non plus) tant il a été déçu par la qualité de certaines pièces tunisiennes sélectionnées que même un Jaziri n'a pu améliorer (bien au contraire!). Espérons que la suite parviendra à renverser la donne!