Par Habib CHAGHAL Le supposé «émir» de Sejnane a été invité récemment par une chaîne de TV locale pour s'expliquer sur les évènements de ce patelin perdu dans les environs de Bizerte, connu surtout pour son parc national. Il a démenti catégoriquement les faits rapportés par un journal de la place, il a même repoussé le qualificatif «salafiste», terme péjoratif, selon lui ,dont il était accusé . Avec un accent de sincérité qui frôlait la naïveté, l'«émir» s'est déclaré adepte d'un mouvement pour le réveil et le renouveau islamiques et la réinstauration du califat : «En dehors duquel il n'y a pas de salut pour la Oumma». Afin d'éviter toute confusion avec Erdogan qui s'est proclamé héritier des Ottomans, l'Emir qualifia son califat de «rached» c'est-à-dire le sixième califat proclamé pompeusement il y a quelque temps par M. Hamadi Jebali ,l'actuel chef du gouvernement. En fait quel mal y a-t-il à s'accrocher à un passé glorieux de la Oumma et qui, dans le monde musulman, n'est pas adepte de son renouveau? Le roi du Maroc n'est-il pas proclamé Emir des croyants en raison de sa descendance de la famille du Prophète? L'arrière-grand-père du roi de Jordanie, émir de La Mecque, ne se déclarait-il pas descendant lui aussi du Prophète? On est cependant en droit de s'interroger pourquoi ces adeptes du califat font table rase de tous les califes qui s'étaient succédé depuis le cinquième calife jusqu'au dernier : le sultan ottoman Abelhamid qui fut obligé d'abdiquer sous la pression et la menace d'Attaturk au début du siècle dernier au lendemain de la Première Guerre mondiale. Devrait-on ignorer que la période ommeyade et la période abbasside furent le summum de la civilisation arabo-musulmane dans tous les domaines? Et pourquoi faire abstraction du califat ottoman qui fut instauré à Byzance, la capitale de l'empire romain d'Orient ,et qui avait introduit l'Islam dans les Balkans, au cœur de l'Europe chrétienne ? Autant d'interrogations auxquelles les adeptes du sixième califat évitent ou sont incapables de donner des réponses. On pourrait imaginer cependant que les connaissances historiques de ces adeptes du sixième califat sont limitées aux prêches des imams de mosquées et des cheikhs des chaînes de télévision moyen-orientales, surtout wahhabistes, qui ne connaissent de l'histoire du monde musulman que l'ère des premiers califes à travers les livres de Tabari, Ibn Massaoud et autre Boukhari .Il faut admettre que ces historiens de «l'évènement» dont la méthodologie fut critiquée à juste titre quelques siècles plus tard par Ibn Khaldoun, avaient idéalisé la gestion des affaires des premiers compagnons du Prophète qui lui avaient succédé à la tête du nouvel Etat musulman. Pourtant, si les historiens s'accordent pour louer les qualités humaines de ces califes, ils ne se sont pas empêchés de rapporter les conflits ayant eu pour conséquences directes l'assassinat de la plupart des premiers califes: ainsi Chahrastani (VIe siècle de l'Hégire), auteur du célèbre livre Al-milal wa Ni-hal, relève dans son livre les dix conflits qui étaient apparus lors des premiers califats, notamment dans le processus de désignation de ces premiers califes qui avaient engendré après l'assassinat de Ali l'apparition des premières sectes de L'Islam. Pour donner quelques exemples de la gestion des affaires politiques tirés de ce livre à propos du calife Othmane Ibn Affan, qualifié d'homme juste au service de la société, Chahrastani accuse les proches parents de ce calife, les Bani Oumaya, d'avoir abusé de leur parenté avec le calife pour accaparer le pouvoir: ainsi Al Hakam Ibn Oumaya, qui avait été exilé par le Prophète de Médine, fut autorisé à y retourner alors que Abou Bakr et Omar avaient refusé ce retour, ensuite la désignation de Abdallah Ibn Abi Sarh comme gouverneur d'Egypte alors qu'il avait été condamné à mort par le Prophète, enfin l'expulsion de Médine de Aba Dhar, l'un des compagnons du Prophète. Durant le régne de Othmane, le mécontentement fut tel que ce dernier fut tué et les premières dissensions au sein de la communauté apparurent. Elles allaient s'amplifier durant et après le califat de Ali. L'émir de Sejnane, M. Hamadi Jebali et les responsables du parti Attahrir ont-ils eu le temps de bien lire et surtout intégrer l'histoire politique des cinq premiers califats pour militer en faveur du sixième, quatorze siècles plus tard en dépit des dissensions qui caractérisent la Oumma aujourd'hui? Il est certain que le tumulte actuel provoqué par les changements du pouvoir politique dans certains pays musulmans ( Irak, Egypte, Tunisie, Libye...) ainsi que les succès électoraux des partis islamistes n'est pas étranger à cet appel pour la réinstauration du sixième califat. Mais Comment le réaliser concrètement? Je propose que notre ministre des Affaires étrangères désigne au sein de son département un Monsieur-Califat chargé de convaincre les autres pays musulmans de la nécessité de redonner à la Oumma son entité politique à travers le sixième califat et pour commencer à leur demander de modifier les constitutions afin de déclarer l'appartenance de ces pays à la Oumma. C'est encore plus facile chez nous puisque nous sommes en train d'élaborer notre constitution. Ainsi pour éviter les différends autour du premier chapitre de cette Constitution on pourrait déclarer que le peuple tunisien fait partie de la Oumma islamique au lieu de qualifier la Tunisie d'Etat musulman. Par quels pays commencer ? Pour ménager les susceptibilités, il faudrait dépêcher la première délégation auprès de M. Erdogan, proche de R. Ghannouchi et héritier déclaré du califat ottoman, qu'il faudrait convaincre, par ailleurs, de l'abstraction que nous faisons de la période ottomane. La deuxième délégation serait envoyée en Indonésie, le plus grand pays musulman situé à l'autre bout du monde et ainsi de suite. Ce serait long mais après tout les pays européens, malgré leur diversité, ont mis plus de trente ans pour créer l'Union européenne. Nous avons un atout très important pour accélérer le processus :ce sont les millions d'adeptes de cette proposition qui pourront prier Dieu chaque vendredi afin qu'Il exauce cette prière. Le gouvernement pourrait ainsi s'adonner à la stabilisation du pays en l'absence des sit-in et des manifestations des salafistes et autres adeptes du Califat. Mais que penserait l'émir du Qatar de ce projet? Ne serait-il plus judicieux de le charger de ce dossier, lui qui dépense une fortune pour soutenir les islamistes de tous les pays pour les porter au pouvoir ? Le désigner directement à la tête du sixième califat serait encore plus facile, il suffirait d'enlever deux lettres à son nom et le voilà Cheikh Hamed Califa de l'empire musulman. Mais laissons à notre chef du gouvernement, le premier à avoir lancé cette idée, le choix de la meilleure proposition et tous nos meilleurs vœux pour le sympathique émir de Sejnane.