Par Zouhair El KADHI Le chômage a atteint un seuil alarmant et occupe depuis le soulèvement populaire du 14 janvier le devant de la scène. Il est estimé aujourd'hui à environ 18,6%. Le problème pourrait, si rien n'est fait, s'aggraver dans la mesure où le schéma de croissance tunisienne dans sa structure actuelle ne peut pas, semble-t-il, créer plus de 40.00 emplois. Avons-nous vraiment affaire à un chômage structurel comme problème principal? Oui. Quoi qu'il en soit, la réduction du niveau de chômage doit être placée comme une priorité absolue. La nécessité de trouver une solution à ce défi lourd de menaces pour la stabilité sociale fait l'unanimité. Aujourd'hui, la Tunisie est placée devant des difficultés de plus en plus aigües, et elle est obligée de proposer des actions concrètes pour faire passer les chômeurs d'une situation de marginalisation à une situation d'emploi. Lorsque des individus, qui pourraient constituer une main-d'œuvre efficace, en bonne santé et productive manquent de compétence, de confiance en eux, de réseaux sociaux et d'expérience pour trouver un travail, nous avons là, à l'évidence, un problème. Quelle politique économique mettre en œuvre afin de juguler ce problème ? Rappelons au passage que le chômage représente, en apparence, un solde entre l'offre et la demande de travail. En réalité, ses composantes sont profondément liées aux caractéristiques structurelles du pays qui déterminent tant la gestion de la population active que les modes de création d'emploi. A ce propos, une lecture plus profonde de la structure économique de la Tunisie laisse, toutefois, apparaître que le modèle de croissance tunisien a buté sur deux écueils : une croissance non créatrice d'emploi et une croissance potentielle insuffisante. La croissance n'a pas entraîné l'emploi Un défaut de nos mécanismes économiques couramment souligné est que la croissance ne crée que trop peu d'emplois en Tunisie. En effet, ce défaut de rendement de la croissance en emplois, ou insuffisance du « contenu en emploi de la croissance », n'a presque jamais été interrompu depuis une longue période. Le rendement de la machine économique tunisienne est faible. La consommation n'entraîne que trop faiblement la production qui n'entraîne que trop peu l'emploi. Le chômage persiste et paraît enraciné dans notre société. Il ne tient pourtant qu'à nous de le déraciner. Il est certes fâcheux, mais en définitive assez peu surprenant, que le contenu en emploi de la croissance soit pratiquement proche de zéro, aucune réforme de fond du marché du travail n'ayant été conduite. A défaut d'agir sur les mécanismes, elle reviendra à une insuffisance chronique des créations d'emplois, avec des tentatives périodiques mais infructueuses pour colmater les brèches à coup de dépenses publiques supplémentaires. Source : calcul de l'auteur Une croissance potentielle insuffisante Notre croissance potentielle est insuffisante. Le taux de croissance potentielle est le taux de croissance le plus élevé compatible avec le rythme d'augmentation des facteurs de production et les gains de productivité. C'est le taux qui détermine les gains futurs du pouvoir d'achat. La méthode classiquement retenue par les économistes pour évaluer la croissance potentielle repose sur l'estimation de la fonction de production macroéconomique. Cette méthode permet de fonder l'estimation de la croissance potentielle sur une analyse directe de ses déterminants : l'emploi, le capital productif et le progrès technique. Le premier des facteurs de production est le travail fourni. On sait que de ce point de vue notre pays est très éloigné de son potentiel. La quantité globale de travail est exceptionnellement faible. Augmenter le rythme de la croissance potentielle exige donc des réformes qui touchent à nos législations, nos traditions, nos modes de négociation des équilibres sociaux, nos mécanismes d'incitations à l'activité pour les salariés et à l'embauche pour les entreprises. Le deuxième facteur de production est le capital productif dans les entreprises. L'accroissement de ce facteur de production dépend du rythme de progression de l'investissement et des déclassements du capital productif, eux-mêmes dépendant notamment de la durée de vie du capital employé. L'hypothèse traditionnelle est qu'à long terme le capital s'ajuste à la croissance. Mais à plus court terme, le stock de capital n'est pas nécessairement en adéquation avec les besoins de la main-d'œuvre. La croissance potentielle peut alors s'écarter de sa cible de long terme. C'est en particulier le cas lorsque l'investissement des entreprises est faible. La progression insuffisante du stock de capital productif limite alors le potentiel de production. Comment faire reculer le chômage ? La solution serait de créer les conditions nécessaires d'une accélération de la croissance. Il s'agirait d'accroître simultanément la productivité, la production et l'emploi. Aujourd'hui, il nous faut plus de croissance pour plus d'emplois et par conséquent moins de chômeurs. Mais attention, cette relation n'est pas une relation mathématique mais approximative et qui peut être influencée par le contexte général. De toute manière, les conditions pour que chacun trouve un emploi durable sont connues : • que chacun ait un savoir-faire et une compétence à valoriser sur le marché, • qu'il n'y ait pas trop d'obstacles administratifs, réglementaires ou fiscaux à l'embauche. • Enfin, qu'il y ait assez d'entrepreneurs pour innover et créer de nouveaux emplois. La première condition renvoie à la formation initiale et à la formation professionnelle. La deuxième à la flexibilité du marché du travail. La troisième à l'innovation et à la croissance. Pour l'avenir, la baisse du chômage dépend donc de vraies réformes devenues incontournables et urgentes. Si nous restons en deçà du plein-emploi, c'est parce que nous ne sommes pas assez bons sur les trois points. Et en réalité nous pouvons certainement progresser sur les trois. Maintenons donc l'objectif de plein emploi et faisons surtout ce qu'il faut pour le réaliser.