• Pour limiter la facture en devises et réduire la dépendance par rapport à l'étranger, les autorités ont procédé au blocage de l'importation de 91 produits compensés et d'une douzaine de produits d'origine israélienne. • En octobre et en novembre derniers, la Pharmacie centrale de Tunisie (PhCT) a réalisé un chiffre d'affaires qui s'élève à sept fois la moyenne mensuelle. Evidemment, la demande nationale n'a pas évolué autant. Et une large partie a trouvé son chemin au- delà des frontières. Si les pharmaciens d'officine gèrent des stocks de quelques jours et les grossistes s'approvisionnent pour quelques semaines, les achats de la Pharmacie centrale de Tunisie couvrent une période plus longue en constituant des stocks de trois mois de consommation pour les médicaments ordinaires et de six mois pour les traitements des maladies chroniques. De même, elle a le monopole de l'importation et de l'approvisionnement des structures hospitalières publiques. Donc, l'activité de la PhCT est de nature à générer plusieurs indicateurs permettant de prévoir toute pénurie. Nous avons contacté M. Al Amine Moulahi, le P.-d.g. de la PCT pour une meilleure évaluation de la situation actuelle du marché et les éventuelles distorsions. « De tous les temps il y a eu des manquements », rappelle-t-il. Toutefois, il faut comprendre les dessous d'une telle situation. Dans son explication, le P.-d.g. a fait la distinction des choses entre les produits importés et ceux produits localement, des facteurs exogènes et endogènes au secteur et des dernières décisions de substitution de certains produits importés. « La valeur des stocks pour ces trois mois s'élève à 250 millions de dinars », rassure le P-d.g.. Cette quantité est largement suffisante pour les besoins de cette période. Toutefois, pour répondre à une demande additionnelle imprévisible, tout compte fait, l'augmentation des achats pour un mois de consommation coûtera près de 80 MD. Un vrai calvaire. Statistiques à l'appui, l'année 2011 s'est clôturée par une enveloppe de 814 MD allouée aux médicaments, dont 633 MD à l'importation. A la lumière de ces chiffres, on peut conclure que les besoins sont assurés à raison de 78% de produits importés et 22% de production nationale. Donc pour relativiser, les troubles à l'échelle nationale ont eu des effets limités par rapport aux distorsions du marché international. Ainsi, les pénuries d'origines extérieures seront plus profondes et plus graves. « De nos jours, l'activité d'importation évolue à un rythme normal», relève le responsable. «Mais il est à signaler que les produits importés peuvent changer de dénominations commerciales », ajoute-t-il. Selon cette analyse, la disparition d'un produit des étalages des pharmacies pourrait s'expliquer, tout simplement, par le remplacement de ce médicament par un autre. Logique, « le nouveau laboratoire qui remporte l'appel d'offres met sur le marché sa gamme de produits, avec de nouvelles dénominations peu familières aux patients», explique-t-il. Et d'ajouter : « De toutes les façons, on peut trouver un équivalent à tout médicament qui disparaît ». Cette stratégie est adoptée par l'importateur national pour faire face à l'envolée des prix à l'international. «L'année dernière, un budget de 56 millions de dinars a été déboursé pour compenser les importations de médicaments, contre 53 millions de dinars pour l'année 2010 », indique-t-il. Jouer pleinement ce rôle social de compensateur des prix est de plus en plus coûteux à la structure nationale. En effet, même avec les mêmes prix à l'international, les budgets de compensation se creusent. « Rien que la dévaluation continue du dinar par rapport aux devises étrangères pèse très lourd sur les budgets de la PhCT», explique-t-il. Pis, ce sont les prix des médicaments destinés aux maladies chroniques qui affichent une hausse continue. « Mais on a réussi à garder les mêmes prix sur le marché national», précise le Pdg. Et d'illustrer « l'insuline est offerte à quatre dinars bien qu'elle coûte près de 12 dinars ». Pour réduire la dépendance avec l'étranger, les autorités ont procédé au blocage de l'importation de 91 produits compensés. Ces produits seront substitués par des équivalents produits localement ou par d'autres médicaments faiblement compensées. « On a minutieusement arrêté la liste. Et cette mesure nous rapporte 10 MD », indique le P.-d.g. Sur un autre plan, « l'importation d'une douzaine de produits sera interdite pour cause d'origine douteuse des médicaments », ajoute-t-il. Il se trouve que les laboratoires producteurs de ces produits ont été rachetés par des entreprises israéliennes. En effet, le marché international est très dynamique et caractérisé par les acquisitions, les fusions et les alliances des laboratoires. Sur le plan national, « la fermeture de Galpharma, après maints cris de détresse, a occasionné la disparition de ses 65 produits du marché, notamment le Grippex» rappelle le responsable. De même, les tensions sociales dans plusieurs unités de fabrication et le blocage des routes ont déséquilibré le ravitaillement des structures hospitalières et les pharmacies. «Avec les si-tinneurs qui bloquent les routes, on a réussi tant bien que mal à livrer les médicaments », déplore-t-il. D'ailleurs, même en état de guerre, on permet le transit des médicaments et des équipes médicales. Le fléau de la contrebande En Tunisie, le prix des médicaments est très compétitif. « D'autres pays négocient leurs commandes sur la base des prix tunisiens», avance le P.-d.g. Ces prix compétitifs sont très alléchants pour les contrebandiers. Pour la Libye, l'année dernière a été marquée par une demande exceptionnelle de médicaments. Sans compter les Libyens qui se soignent en Tunisie. « Déjà, en octobre et novembre derniers, on a réalisé un chiffre d'affaires qui s'élève à sept fois la moyenne mensuelle », indique-t-il. Evidemment, la demande nationale n'a pas évolué autant. Et une large partie a trouvé son chemin au-delà des frontières. Pour l'Algérie, ce sont les produits compensés qui sont les plus prisés, notamment l'insuline et les médicaments des maladies cardiovasculaires. En toute simplicité, les voyageurs portent avec eux des paquets de médicaments coûtant plusieurs milliers de dinars pour les vendre ailleurs. « La réponse est toute simple: c'est mon traitement». En plus des pays frontaliers, les étudiants africains transportent avec eux des quantités non négligeables de médicaments A ce trafic à petite échelle, s'ajoutent les réseaux organisés de la contrebande. Dans ce cas, les livraisons se comptent par camions.